Dans la famille de K., je voudrais les sœurs, le frère, le beau-frère et surtout le père. Intimidant et impénétrable. Ces six protagonistes se toisent, se croisent, s’évitent puis finissent par s’affronter. Entre eux, le poids des non-dits, des secrets soigneusement enfouis qui les affectent de manière différente et envahissent leurs rêves. Surtout ceux de K. qui s’affirme comme celle osant rompre le silence familial.
Un événement grave les étouffe et les empêche d’aller de l’avant. Ces ombres portées, évoquées dans le titre, représentent cette part d’obscurité que chacun se traîne, les répercussions qu’un incident traumatique peut avoir sur un parcours de vie.
Virtuosité circassienne au service de la narration
Empruntant autant au cirque, à la danse, au théâtre qu’au cinéma, la pièce offre de se replonger dans l’univers singulier de l’artiste, dans cette esthétique très personnelle où la virtuosité circassienne se met au service de la narration. La filiation avec sa précédente, La chute des anges, n’en est que plus qu’évidente.
Progressivement, Raphaëlle Boitel entraîne ses personnages vers la lumière. Les voix étouffées se font entendre, les vérités émergent, la colère d’une fille vient ébranler le mutisme d’un père figé dans sa culpabilité. Traversée de moments disparates, cette pièce prend parfois des allures de tragicomédie. Certaines scènes prêtent à sourire, sans pour autant nous éloigner du propos central.
S’extraire de la pesanteur familiale
Axée sur le non-dit, la pièce donne une large place aux mots habilement entremêlés aux passages dansés, une étape nouvelle dans le travail de la chorégraphe. Néanmoins, cela casse parfois un peu le mystère. Les corps se révèlent déjà très éloquents confrontés aux agrès, corde lisse ou sangles symbolisant les entraves familiales. Chaque mouvement traduit leur aspiration à s’extraire de cette pesanteur familiale. Leurs contorsions, leurs envols, leurs acrobaties agissent comme une catharsis.
Adoptant avec la complicité de Tristan Baudoin aux lumières ce clair-obscur qu’elle affectionne, Raphaëlle Boitel nous conte une histoire finement construite. Les séquences d’une envoûtante beauté s’enchaînent dans un espace scénographique en perpétuel mouvement. La musique électro d’Arthur Bison, qui complète ce « triangle artistique », contribue aussi à la force de cette proposition exigeante servie par de remarquables interprètes.
Claudine Colozzi
Ombres portées de Raphaëlle Boitel
Théâtre Silvia Monfort à Paris.
Du 05 au 23 novembre 2024
Durée : 1h10
Tournée
5 décembre 2024 La Faïencerie, Scène conventionnée de Creil (60)
23 et 24 janvier 2025 La Passerelle, Scène nationale de Gap (05)
28 et 29 janvier 2025 Théâtre Durance, Scène nationale Château-Arnoux-Saint-Auban (04)
06 et 07 février 2025 dans le cadre de la BIAC, LE ZEF, Scène nationale de Marseille (13)
19 au 23 mars 2025 Célestins-Théâtre de Lyon (69)
Mise en scène et chorégraphie de Raphaëlle Boitel
Collaborateur artistique, lumière, scénographie de Tristan Baudoin
Musique originale d’Arthur Bison
Machinerie, accroches, plateau – Nicolas Lourdelle
Complice à la technique en création – Thomas Delot
Avec Alain Anglaret (le père), Tia Balacey (la petite soeur -acrodanse), Alba Faivre (l’ainée – corde lisse), Nicolas Lourdelle (le gendre), Mohamed Rarhib (le frère – acrodanse et sangles), Vassiliki Rossillion (K – corde volante)
Les ateliers de l’Opéra National de Bordeaux construction décor Nicolas Gardel
Espace sonore, régie son – Nicolas Gardel et Thomas Delot
Constructions, accessoires – Anthony Nicolas