Comment est né le projet ?
Marine Colard : Le projet est né plusieurs fois. La première fois, quand j’ai voulu travailler sur les prises de paroles en public de personnalités mondiales lors d’événements professionnels ou personnels. Ensuite, lorsque je me suis rendue compte que la pièce parlait aussi de mon propre rapport avec la prise de parole, plus intime, et de la peur que l’on peut ressentir avec la prise de parole en public. C’était important pour moi de prendre cette pièce à rebours de la précédente et de creuser la fragilité de la parole autant que sa force et sa puissance.
Qu’est-ce qui vous a intéressé sur les mouvements qui galvanisent les foules ?
Marine Colard : Pour convaincre les foules, les personnes qui s’expriment en public savent que les gestes ont autant – voire plus – d’importance que les mots prononcés. Dans la pièce, les gestes viennent amplifier ou déjouer et prendre à rebours la parole. L’actio, dont parle Cicéron dans son ouvrage De Oratore, m’intéresse particulièrement car elle renvoie au jeu du corps et à l’importance du non verbal. C’est la gestuelle, les mouvements du visage, les postures et la façon dont la parole est incarnée qui m’a intéressée.
La puissance des mots utilisés par les tribuns et leur façon de manipuler les esprits est au cœur de vos processus créatifs. Comment l’avez-vous travaillé au plateau ?
Marine Colard : Une étude montre qu’on ne retient que 7 % des mots prononcés dans une prise de parole. Le reste correspond au timbre de la voix, au rythme des mots et à l’effet que le corps de l’autre produit, à savoir le langage corporel. C’est autour du “geste oratoire” que nous avons travaillé au plateau et du pouvoir que l’on peut prendre dans la société grâce à la maîtrise du langage. Et donc le rapport de domination que cela implique. J’ai aussi voulu creuser le décalage entre les corps et les mots dans le processus créatif et nous interprétons une partition de sons/mots/phrases qui sont des réservoirs de pensées, comme le corps.
Qu’est-ce qui vous a inspiré ?
Marine Colard : Côté dramaturgie, mon histoire personnelle m’a inspirée, une phrase dite lorsqu’on est enfant « qu’est-ce qu’elle parle celle-là », des lectures comme les poèmes de Camille Readman Prud’homme,“Quelquefois tu manques de mots ou plutôt d’espace pour dire les mots et ce qui aurait pu être une parole reste une pensée”, des recherches sur l’art oratoire et son origine en Grèce antique, le drapé des orateurs, des astuces pour utiliser la langue de bois en politique, le film Le Dictateur de Chaplin, les mains qui sont très utiles chez les orateurs et qui par leur danse permettent de supplier, menacer, appeler, promettre, admirer… et la réponse de google à ma question : Quelle est la deuxième peur de l’homme après celle de la mort ? Prendre la parole en public.
Pourquoi la danse est un médium important pour évoquer ces sujets de société ?
Marine Colard : Parce que les mots ne suffisent pas pour dire quelque chose. Parfois il n’y a pas de mots pour traduire le rapport à l’autre et en parlant on limite le monde, on l’achève. C’est le médium, avec le chant, qui me permet de m’exprimer et de jouer avec ce décalage qui me plait, et développer ainsi mon imaginaire. La danse est un chemin pour prendre la parole sans les mots parce que le corps délivre souvent un message plus clair que les mots. Le corps par lequel nous percevons nos sensations est aussi le reflet de nos émotions et nos gestes “trahissent” les émotions qui nous traversent.
Bataille générale est une pièce de danse contre le langage. « Contre » est ici à entendre dans la proximité de l’une avec l’autre : les gestes viennent soutenir, amplifier ou déjouer la parole. Et la danse peut laisser la place à l’intraduisible, à quelque chose qui n’est pas rattrapable dans l’immédiat et cela me plait beaucoup.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Bataille générale de Marine Colard
Création le 15 novembre 2024 à L’Espace des arts
5B Avenue Nicéphore Niépce
71100 Chalon-sur-Saône
durée 1h
Tournée
3 décembre 2024 à l’Atelier de Paris CDCN
14 janvier 2025 au Théâtre d’Auxerre
21 & 22 janvier 2025 au Théâtre de Mâcon SN
24 janvier 2025 à L’ARC – Scène nationale Le Creusot
Chorégraphie de Marine Colard en collaboration avec Jeanne Alechinsky, Fabio Bergamaschi, Pierre Cuq
Avec Jeanne Alechinsky, Fabio Bergamaschi, Marine Colard, Pierre Cuq
Création musicale d’Aria de la Celle
Travail vocal de Lawrence Williams
Création lumière de Lucien Valle
Scénographie d’Andréa Baglione
Costumes de Marion Moinet
Régie générale de Benjamin Bertrand
Collaboration artistique – Jérôme Andrieu, Michel Cerda
Regards – Sofia Cardona Parra, Caroline Châtelet, Esse Vanderbruggen, Nina Vallon