Hormis Le Faiseur, Honoré de Balzac a écrit sans trop de succès quelques pièces pour le théâtre. En revanche ses romans ont souvent été mis en scène, comme récemment Les illusions perdues par Pauline Bayle ou Notre comédie humaine par l’équipe du Nouveau Théâtre Populaire. David Goldzahl s’est penché sur Le père Goriot avec une belle acuité.
Une subtile théâtralisation
Ce roman ouvre La Comédie Humaine. Dépeignant une fresque de son époque, le romancier voulait transcrire une « histoire naturelle de la société ». Cela donne de longues descriptions ! Le théâtre permet d’aller non pas l’essentiel, mais à l’essence même du texte, en ne perdant pas de vue les qualités de la narration, de l’action et des personnages qui le font vivre.
Et ils sont nombreux dans ce roman ! Ici on ne croisera que les principaux, Rastignac, le père Goriot, ses « charmantes » filles Delphine et Anastasie, Vautrin, Victorine Taillefer, la vicomtesse de Beauséant, Mme Vauquer… L’adaptation de David Goldzahl est loin d’être un condensé destiné à ceux qui n’ont jamais réussi à lire ce pavé de 448 pages dans l’édition Folio ! Gardant en mémoire que bien des romans du XIXe siècle étaient lus sous la forme de feuilletons dans les journaux, il a dynamisé le récit sans en perdre la beauté narratrice de l’auteur.
Comme à l’époque du boulevard du crime
Une comédienne et un comédien prennent la place de l’auteur narrateur pour dérouler l’intrigue. Trouvaille dramaturgique impeccable, puisqu’ils vont aussi pouvoir incarner tous les rôles. Sauf un, Eugène Rastignac ! Normal puisque tout tourne autour de ce jeune loup aux dents longues. S’appuyant sur une scénographie épurée (Charlotte Villermet) et le jeu de lumières (Denis Koransky), la mise en scène de David Goldzahl est très efficace. Sans jamais rien montrer, il fait surgir des images. Cette ronde infernale qui mène le père Goriot à sa perte et lance Rastignac à la conquête de Paris se suit aisément.
L’excellence de l’interprétation
Profitant de ses relâches des Liaisons dangereuses où elle incarne à merveille Madame de Merteuil, Delphine Depardieu déploie toute sa merveilleuse palette de jeu. Quelle belle comédienne ! Jean-Benoît Souilh, que l’on a découvert à Avignon dans Un héros, est bien connu des fans de la série Astrid et Raphaëlle, où il incarne le délicieux animateur du groupe de parole des autistes. Passant de l’émotion, avec le père Goriot, à la flamboyance, avec Vautrin, ses prestations impressionnent. Duncan Talhouët, qui joue aussi en ce moment dans le très beau Majola de Caroline Darnay, est tout à son aise en Rastignac. Il montre toutes les nuances du caractère de ce jeune provincial qui rêve de trouver sa place dans la société. Bravo !
Marie-Céline Nivière
Le père Goriot d’Honoré de Balzac
Théâtre des Gémeaux Parisiens
15 rue du Retrait
75020 Paris
Jusqu’au 31 décembre 2024
Durée 1h35
Adaptation et mise en scène de David Goldzahl
Avec Delphine Depardieu, Jean-Benoît Souilh et Duncan Talhouët
Scénographie et Costumes de Charlotte Villermet
Lumières de Denis Koransky
Son de Xavier Ferri.