Inoubliables ! Certaines scènes de La Crise de Coline Serreau tournent en boucle sur les réseaux sociaux. Un casting de rêve, des dialogues qui font mouche, du mordant et de la tendresse, les travers d’une société qui va mal, il n’en fallait pas plus pour que le film frise les 4 millions de spectateurs à sa sortie et reste à jamais gravé dans nos mémoires. Comment ne pas oublier Maria Pacôme en pleine crise de la cinquantaine, Zabou Breitman en femme libre qui refuse de vivre avec un homme, Michèle Laroque en guerre contre l’homéopathie ou Patrick Timsit en SDF collant au grand coeur ?
S’attaquer à cette œuvre avec la complicité de Coline Serreau et de son fils, Samuel Tasinaje, est une gageure de taille. Avec une belle simplicité, Jean Liermier, qui a annoncé il y a peu qu’il quittait la direction du Théâtre de Carouge, en juin 2026, relève le défi, trouve sur le fil la distance adéquate et le bon ton pour éviter le copier-coller. Mettant à jour des problématiques qui n’ont que peu changé en trente ans, le chômage, la montée de l’extrême droite, le racisme, l’écologie, la place des femmes et le nombrilisme, il attrape l’attention du public de bout en bout. Le scénario n’a rien perdu de sa causticité. Lucide et clairvoyant, c’est dans l’humanité des personnages et notamment dans celle de Michou qu’il touche juste.
L’art de l’humain
Décor minimaliste empruntant à la BD ses bulles pour donner vie aux différents lieux de ce road-movie social, cette Crise tient au dialogue bien sûr, mais surtout au jeu des comédiens. Romain Daroles, lunaire à souhait, tient magnifiquement la corde. Il incarne un Michou plus vrai que nature. Proche du personnage joué par Timsit, il s’en détache par sa silhouette dégingandée de grand dadais absolument irrésistible. Simon Romang campe un Victor satisfait de sa petite personne. Aveugle aux autres, il est parfait dans cette suffisance inhérente à ce personnage de cadre sup qui refuse de voir sa petitesse et le précipice qui le guette.
Se partageant les autres rôles, le reste de la troupe est au diapason. Tous se démènent pour ne pas tomber dans la caricature et le mimétisme. Le plus souvent ça marche. Baptiste Gilliéron, Camille Figuereo, Dominique Gubser, François Nadin, Brigitte Rosset, Charlotte Filou, pour la plupart des habitués du Théâtre de Carouge, se glissent dans la peau de cette galerie de personnages savamment ciselés.
Si cette comédie sociale met un peu de temps à se mettre en place, très vite, on se laisse embarquer d’une situation ubuesque à l’autre Le réel et le fictionnel s’entremêlent. Les répliques, tellement connues, se marmonnent. Les rires fusent. Construite comme une fable initiatique où un homme moderne se retrouve confronté à la dureté d’un monde qui a perdu de son humanité, cette Crise rappelle la fragilité de nos existences face à notre incapacité à voir l’autre. En nous ouvrant les yeux, le temps d’une soirée, Jean Lieirmier ré-instille en chacun de nous l’espoir que tout n’est peut-être pas perdu !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Genève
La Crise d’après un scénario, des dialogues et un film de Coline Serreau
Théâtre de Carouge
Rue Ancienne 37 A
Case postal 2031
1227 Carouge, Suisse
Du 26 novembre au 22 décembre 2024
durée 2h environ
Tournée
9 au 19 janvier 2025 au Théâtre Kléber-Méleau, Suisse
23 et 24 janvier 2025 à Equilibre-Nuithonie, Fribourg, suisse
29 et 30 janvier au Théâtre du Jura, Suisse
Mise en scène de Jean Liermier assisté de Katia Akselrod
Adaptation de Samuel Tasinaje
Avec Romain Daroles, Camille Figuereo, Charlotte Filou, Baptiste Gilliéron, Dominique Gubser, François Nadin, Simon Romang, Brigitte Rosset
Scénographie et costumes de Rudy Sabounghi
Dessins de Louis Lavedan
Lumières de Jean-Philippe Roy
Univers sonore – Jean Faravel
Accessoires – Cam Ha Ly Chardonnens
Construction décor – Marc Borel, Tom Foutel, Christophe Reichel, Grégoire de Saint Sauveur
Peinture de Lola Sacier
Réalisation des costumes – Marion Schmid
Coiffures deFadila Adli