Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Les kermesses de fin d’année dans mon école primaire à Lyon. Une estrade en plein air, des costumes en papier crépon, des bonbons partout, des parents émus et des gamins surexcités, une certaine idée de la fête, non ? Et gratuit pour tous en plus !
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Les cours de danse classique que je prenais à Lyon, chez Lucia Petrova, une ex-danseuse étoile russe. Une femme assez âgée, avec un peu d’embonpoint, les cheveux courts. Cela ne collait pas avec l’image de la danseuse étoile classique et j’avais du mal à l’imaginer jeune. Mais tant de rigueur et de passion chez une artiste d’un certain âge, ça m’impressionnait. Il ne fallait pas arriver une minute en retard, sinon gare à nous… Et puis j’étais fascinée par les danseuses plus âgées que moi, les filles de 15 ans que je trouvais grâcieuses, aériennes, hors de portée. J’ai su assez vite que la danse allait devenir quelque chose de très important pour moi.
Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédienne ?
La déprime. Malheureusement, j’ai dû arrêter la danse à 14 ans, après avoir raté deux fois le concours d’entrée au Conservatoire Supérieur de Danse de Lyon. Ce double échec, vécu si jeune, m’a un peu traumatisée. J’ai perdu toute confiance en moi et tout espoir d’embrasser une carrière artistique. Ce n’est que dix ans plus tard, vers l’âge de 25 ans, alors que j’étudiais la traduction à l’université de Genève (où je déprimais beaucoup), que j’ai vu une annonce collée sur l’ascenseur de l’université : « Cherche comédiens pour monter un spectacle de café-théâtre ».
Par curiosité ou ennui, j’ai passé l’audition. Cette fois-ci je l’ai eue du premier coup ! J’ai intégré la troupe et ça a été une révélation. En quelques semaines, on a monté un spectacle, des sketchs faits de bouts de ficelle, avec un stroboscope et une machine à fumée. C’était tellement joyeux. On était une bande de bras cassés, tous amateurs. Chacun était venu là pour une raison différente, mais tout le monde avait été un peu cabossé par la vie, à des degrés différents, bien sûr. Ça m’a complètement reconnectée au plaisir d’être sur scène. Tout le monde avait sa place, et pas seulement les « meilleurs ». Au final, toute cette énergie, c’était très émouvant. Et puis, j’ai vu aussi que je pouvais faire rire !
J’ai donc décidé de « monter » à Paris, prendre des « vrais » cours de théâtre. J’ai suivi un stage d’été au cours Florent, naïvement, parce que c’était le seul cours de théâtre dont j’avais entendu parler.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Une comédie musicale, quand j’étais enfant, dans mon école primaire. Une adaptation des Misérables, en anglais. Je jouais Cosette. Je chantais There is a castle on a cloud…, en haillons, un costume concocté par ma mère à la va-vite. Pendant toute la chanson, je m’agrippais à mon balai et à mon seau. Après le spectacle, les gens venaient voir ma mère pour lui dire à quel point ma prestation les avait émus. Je lisais la fierté dans ses yeux. Peut-être qu’on fait les choses pour attirer le regard de nos parents, je ne sais pas… À l’époque, je ne maîtrisais pas grand-chose, mais j’ai senti à ce moment-là que la scène était un endroit spécial, où l’exceptionnel pouvait advenir. J’adore les acteurs ou les actrices qui paraissent très banales dans la vie et qui se transforment complètement sur scène. Ça reste magique.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Italienne, scène et orchestre de Jean-François Sivadier, que j’ai vu à l’Opéra-Comique à Paris. En sortant, je me suis dit : mince, le théâtre contemporain peut être intelligent, novateur, exigeant ET drôle, tellement drôle. Parce que jusque-là, je trouvais beaucoup de pièces de théâtre obscures et impénétrables. L’idée qu’avait eu Sivadier de placer les spectateurs sur scène, au milieu du chœur fictif des chanteurs, avec le metteur en scène (Nicolas Bouchaud) dos au « vrai » public, je trouvais ça génial. Et le moment où on se retrouvait dans la fosse avec « l’orchestre » composé des spectateurs. Je n’oublierai jamais ce moment. Et je n’oublierai jamais la prestation de Jean-François Sivadier acteur, aussi. Je suis sortie de là enchantée, bouleversée. Je marchais sur les grands boulevards, l’Opéra de Paris me regardait de loin. Soudain cette ville devenait un peu moins inatteignable.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Les amies que j’ai rencontrées au cours Florent : Sarah Siré, Suzanne Marrot, puis, plus tard Jalie Barcilon, qui m’ont aidée à créer An Irish Story. Et puis toutes les équipes qu’on croise sur la route, lors des tournées. On rencontre beaucoup de gens dans notre métier, chaque rencontre est différente, mais je dis merci à toutes les personnes qui ont cru en mon travail.
Il y a aussi mes professeures : Lesley Chatterley au cours Florent, qui a été la première à me regarder sérieusement, à me donner le rôle principal en anglais dans une pièce de Sarah Kane, et surtout à valoriser mon côté laborieux. Avec elle, il n’y avait pas de starification, il fallait bosser. On découvrait des méthodes de jeu à l’anglaise : Meisner, Michael Chekhov… Malheureusement elle est décédée, mais je pense très souvent à elle. Jeanne-Sarah Deledicq aussi, ma prof de chant, qui m’a ouvert l’univers de la respiration, une véritable révolution. Ce sont des rencontres qui vous transforment, dans votre vie et dans votre pratique artistique.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
La vie de tous les jours, les gens. J’aime écouter la vie des gens. Parce qu’il suffit de les écouter pour voir qu’ils survivent souvent à des épreuves à peine croyables. Et la littérature.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Un mélange de plaisir et de douleur, je dois dire. Souvent, je me dis « mais pourquoi je monte sur scène ? » alors que je pourrais être dehors, mener une vie « normale », m’occuper de mes enfants (surtout quand je joue le soir). Pourquoi monte-t-on sur scène ? C’est une vraie question.
Un professeur un jour nous avait dit : « Vous demandez à 50, 100, 200 personnes de se taire et de payer pour vous écouter. Alors, vous avez intérêt à avoir quelque chose d’intéressant à leur dire ». Ça m’a marquée, parce que je trouve cela tellement vrai. Mais c’est un rapport viscéral, malgré tout. Ça remonte à l’enfance. Sans doute à la petite fille qui jouait Cosette et qui voyait que le public l’écoutait et était ému. C’est un peu inexplicable, cette envie de vivre d’autres vies. Un jour, mon frère m’a demandé : « Yo, pouf’ (c’est le surnom qu’il me donne), c’est déjà assez compliqué d’être soi-même, pourquoi tu veux être quelqu’un d’autre ? ». C’est pas faux… Pourquoi ?
À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Je crois que j’ai un rapport assez physique à la scène. Ça doit venir de mon passé de danseuse. Alors, je situerai ça au niveau des jambes et du cœur. Faut que ça remue et que ça émeuve.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
La liste serait longue. Il y a beaucoup d’artistes avec lesquels j’aimerais collaborer, mais pas forcément tous issus du théâtre. Je pense à des bédéastes (Catherine Meurisse), des écrivains (Philippe Jaenada, j’ai une passion pour cet auteur), des gens qui créent des podcasts (Cerno).
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Un projet collectif de music-hall, mêlant théâtre et musique, avec une vraie histoire. Un projet en anglais, aussi, allez, aux États-Unis, soyons fous !
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Dur comme questions… J’avoue, j’ai mis du temps à trouver. Mais je dirais l’ouverture de La Traviata. C’est la musique d’Italienne, scène et orchestre, je l’utilise dans An Irish Story. C’est l’un des opéras favoris de ma mère, et ce morceau m’émouvra toute ma vie. Dès que je l’entends, c’est inévitable, ça m’arrache un bout de cœur. Ça commence tout doucement, ça s’amplifie, ça devient grandiose, on y entend de toutes petites notes, c’est mélancolique, romantique, et puis ça finit comme ça a commencé : tout doucement.
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
Si tu t’en vas de Kelly Rivière
La Scala Paris
13 boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Du 4 novembre 2024 au 25 juin 2025
Durée 1h10
An Irish story / Une histoire irlandaise, texte, mise en scène et interprétation de Kelly Rivière
La Scala Paris
13 boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Jusqu’au 10 décembre 2024 puis du 2 avril au 23 juin 2025
Durée 1h25
Mort d’un commis Voyageur d’Arthur Miller
Théâtre Montansier
13 rue des Réservoirs
78000 Versailles
Du 5 au 9 novembre 2024
Durée 2h
Tournée 2024-2025
13 au 15 novembre 2024 Le Trident Scène nationale de Cherbourg-en-Cotentin
10 janvier 2025 Théâtre de Rungis
14 janvier 2025 Théâtre municipal de Coutances
16 janvier 2025 Théâtre de la Ville de Saint-Lô
27 février 2025 Dieppe Scène Nationale
Nouvelle adaptation de Kelly Rivière, commande de la compagnie
Mise en scène de Philippe Baronnet
Avec Vincent Garanger, Anne Cressent, Marc Lamigeon, Romain Fauroux, René Turquois, Samuel Churin, Nine de Montal, Philippe Baronnet
Lumières Maxime Rousseau
Son Haldan de Vulpillières avec le renfort en régie de Jean-Baptiste Augros
costumes Emilie Baillot
Perruques, maquillage Cat Vandamme
Collaboration artistique Alain Deroo, Marie-Cécile Ouakil, Michaël Pruneau.