Ruth Childs voit rouge. Le décor, les costumes, les lumières, elle les décline à toutes les teintes du rose au carmin en passant par le fuchsia ou le cramoisi. À contre-courant de la morosité du monde, de sa tristesse patente, de sa colère rentrée et de son conformisme, l’artiste explore les émotions humaines dans ce qu’elles ont de plus fou, de plus délirant. Elle signe une œuvre déroutante et magistrale, où le rire n’est jamais loin des larmes.
Bienvenu au Cabaret
Entre beat box, morceaux pop, standards du classique et notes extirpées d’un vieil orgue Bontempi, le son pulse et rythme la partition composée au fil de l’eau par Ruth Childs et ses quatre acolytes – Bryan Campbell, Karine Dahouindji, Cosima Grand et Ha Kyoon Larcher. Mais attention, malgré un aspect très chaotique, le geste chorégraphique est extrêmement ciselé. Puisant dans les codes de la danse post-moderne, l’artiste anglo-américaine invite le public à un show foutraque, délirant et totalement extravagant.
Mêlant à une gestuelle extrêmement répétitive une série d’onomatopées chantées, Ruth Childs, dont c’est la la première pièce de groupe, fait feu de tout bois. À la manière d’un cabaret où se produiraient performeurs et clowns, elle esquisse une revue où derrière une folie apparente et un ton résolument déjanté se dessine une autre réalité plus noire, celle du monde qui va à vaut l’eau. Les grimaces, les rires, la danse jusqu’à… L’air du Commandeur du Don Giovanni de Mozart, qui ponctue la bande-son, rappelle à la troupe de trublion que la menace tant sociale, politique qu’écologique est bien réelle.
Rire de tout…
À hue et à dia, la chorégraphe et danseuse développe pièce après pièce une écriture bien à elle. Toujours en décalage, elle fait de ce refus de rentrer dans une case sa marque de fabrique. Empruntant au cirque, à la pantomime, au classique et au contemporain, elle imagine une œuvre à entrées multiples où sa pensée se déploie en plusieurs couches toutes malicieusement imbriquées les unes dans les autres.
D’une apparition saugrenue à un cri perçant à peine audible, des larmes de crocodile à un rire forcé, elle tire des fils tant grotesques que dérangeants. Si l’on retrouve un peu de Blast ! dans les grimaces façon Münch de certains tableaux, elle va encore plus loin dans sa folie créatrice et touche là où ça fait mal et c’est jouissif. Jamais dans la posture, l’inclassable Ruth Childs poursuit sa quête de spectacle total et réussit haut la main.
Avec Fun Times, elle traverse les époques et fait de sa danse un message bien plus politique qu’il n’y parait. Au diapason de ses quatre interprètes, tous sensationnels, elle invoque l’art comme seul canalisateur de nos émotions. Dadaïste d’aujourd’hui, elle part tous azimuts pour mieux retomber sur ses pattes. Tout simplement génial !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Fun Times de Ruth Childs
Création en octobre 2024 à l’Arsenic – Centre d’art scénique contemporain, Lausanne
Tournée
21 et 22 novembre 2024 à L’Atelier de Paris / CDCN, avec le Centre culturel suisse, dans le cadre de la Swiss Dance Week
9 au 13 avril 2025 au Pavillon-ADC, Genève
Chorégraphie de Ruth Childs en collaboration avec les danseur·euses
Avec Bryan Campbell, Ruth Childs, Karine Dahouindji, Cosima Grand, Ha Kyoon Larcher
Direction technique et création lumière – Joana Oliveira
Recherche et création sonore – Stéphane Vecchione
Assistante – Flow Marie
Costumes de Tara Mabiala
Scénographie de Melissa Rouvinet
Œil extérieur de Madeleine Fournier
Coaching vocal de Bertille Puissat