Le soleil brille sur la capitale bretonne. Devant le parvis du théâtre, public de tous âges, artistes, directeurs et directrices de lieux, programmateurs et programmatrices se croisent, se mêlent, échangent et partagent leurs expériences. Au-delà d’une programmation exigeante, ce brassage est l’un des ingrédients qui fait la réussite de ce rendez-vous incontournable de la saison.
Pour mettre en appétit, rien de mieux que de commencer par une étape de travail. Dans la salle Paradis, Guillaume Vincent convie, avec Paradoxe, une poignée de spectateurs à découvrir quelques éléments de sa prochaine création. Accompagné de sa comparse de toujours, l’inénarrable Florence Janas, il revisite des moments clés de leurs vies. De leurs enfances à aujourd’hui, ils font remonter à la surface des instants de vie que la perte d’un proche à fait remonter à la surface.
Tranches de vie et mélange de genre
Profitant de l’intimité de cette petite salle située au dernier étage du bâtiment, la comédienne, face public, marmonne dans sa moustache postiche des bribes de mots et des phrases avortées. De ce grommellement quasi inaudible, quelques mots émergent. Ils évoquent les rapports mère-fils, la perte d’autonomie, la maladie. Derrière elle, le metteur en scène peint en bleu Klein un panneau de bois. Il semble faire abstraction du public tant il semble absorbé par cette activité. Un mot, l’interpelle. Il jette un œil à sa partenaire et entre dans la ronde de cette succession de saynètes plus surréalistes et improbables, les unes que les autres.
Entre situations vécues et fictionnelles, les deux artistes se baladent avec humour dans la vie de l’un et de l’autre. Des récits que sa mère, sage-femme, lui racontait quand il était enfant, à sa propre expérience d’aidant quand cette dernière a perdu la mémoire après un accident cérébral. Guillaume Vincent tisse dans le désordre des bouts d’histoires et des fragments d’existence qui, petit à petit, croque un autoportrait kaléidoscopique.
Plume mordante, ton décalé, il fait jaillir des drames du quotidien une fresque humaine des plus divertissantes. Si le travail est encore en cours, l’essentiel est là. On rit, on pleure, on s’identifie. C’est beau, touchant et drôle. La mise-en-bouche est un régal et donne furieusement envie de voir le spectacle, dont la création est prévue à l’automne prochain.
Une marche pour la vie
À quelques encablures de là, au théâtre l’Aire libre de Saint-Jacques-de-la-Lande, Bruno Geslin plonge dans les carnets de voyage de Werner Herzog. Le 23 novembre 1974, le réalisateur munichois reçoit un appel alarmant. Son amie et mentor, Lotte Eisner, grande figure du cinéma allemand, est au plus mal. Ses jours semblent comptés. Un étrange pressentiment lui impose de rejoindre Paris, où elle vit, à pied. Cette marche de 800 kilomètres est pour lui une manière de mettre la mort à distance.
En s’emparant de ce récit intime et introspectif, le metteur en scène entraîne les spectateurs au plus près du souffle de Werner Herzog. Au cœur d’un espace scénique, entouré de rideaux gris transparents, Clément Bertani se glisse dans les bottes du cinéaste et donne vie à ses mots. Marchant de bout en bout du spectacle, il fait entendre dans un long monologue les tourments et les doutes de son personnage. Plus il voit du pays, plus la neige et le froid rendent son périple compliqué, plus il s’enferme dans sa tête et questionne sa vie.
Traversant forêts et champs, pénétrant par effraction dans différentes demeures inhabitées, il vibre au rythme de ses pas. Fatigue, douleur, rien ne l’arrête. L’espoir booste ses capacités jusqu’à l’épuisement. Le long poème, soutenu par la musique jouée en direct par Guilhem Logerot et par son chant opératique, se transforme en une longue et troublante litanie. Le geste tout en épure touche juste, même si parfois une forme de monotonie s’installe et teinte l’ensemble d’une couleur mélancolique. L’aventure est pourtant là, palpable. Elle s’entend dans chaque respiration, Bruno Geslin et Clément Bertani ayant eux-même emprunté près de 50 ans plus tard, le même chemin que le cinéaste. Une expérience qui dépasse largement le cadre de la scène !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Rennes
Festival du TNB
du 13 au 23 novembre 2024
Théâtre National de Bretagne
1 Rue Saint-Hélier
35000 Rennes
Paradoxe de Guillaume Vincent
du 13 au 23 novembre 2024
Création prévue à l’automne 2025
Avec Florence Janas et Guillaume Vincent
Dramaturgie de Marion Stoufflet
Son de Yoann Blanchard
Costumes de Fanny Brouste
Régie générale de Karl-Ludwig Francisco
Sur le chemin des glaces de Werner Herzog
création le 9 octobre 2024 au Théâtre des 13 vents – CDN de Montpellier
Tournée
13 au 15 novembre 2024 au Festival TNB, Rennes
28 et 29 novembre 024 au Théâtre 71, Scène nationale Malakoff, dans le cadre du festival OVNI
30 janvier 2025 aux Espaces Pluriels, Pau
5 et 6 février 2025 à la Scène nationale Albi – Tarn
26 et 27 mars 2025 au Tandem, Scène nationale Arras – Douai
Adaptation et mise en scène de Bruno Geslin
avec Clément Bertani et Guilhem Logerot
scénographie de Bruno Geslin avec la collaboration de Jeff Desboeufs, Gilles Montaudié, Benoît Biou ainsi que Michaël Labat et Franck Breuil
création musicale de Guilhem Logerot, création et régie son de Pablo Da Silva, création lumières et régie générale de Jeff Desbœufs, création vidéo de Julie Pareau et Quentin Vigier, création costumes d’ Hanna Sjödin
images de Bruno Geslin, Clément Bertani
réalisation du décor : Ateliers de construction du ThéâtredelaCité – CDN – Toulouse Occitanie sous la Direction de Michaël Labat
assistant à la mise en scène – Simon-Elie Galibert
Administration, production : Dounia Jurišić