Agathe Quelquejay © Marie Lejay
© Marie Lejay

Agathe Quelquejay : un plaisir gourmand du théâtre

Merveilleuse dans le très beau spectacle de Guy-Pierre Couleau, autour des poèmes de Jehan-Rictus, Rossignol à la langue pourrie, repris à l’Essaïon, la comédienne revient sur son parcours et ce qui la relie au théâtre.

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Mon plus vieux souvenir remonte à ma petite enfance, lorsque notre mère nous emmenait au parc. Nous faisions régulièrement une halte au Guignol, ce qui n’était pas pour ma plus grande joie… Et puis il y avait aussi les sorties au cirque et ce moment tant redouté de l’arrivée des clowns… Ma rencontre avec l’art vivant n’a pas été une grande histoire d’amour. La foule m’angoissait. J’ai le souvenir aigu d’observer tous ces gens hilares, rassemblés autour d’autres humains qui se parodiaient eux-mêmes… Je trouvais cela très étrange. Je regardais le public rire, sur mon petit bout de banc, discrète et perplexe.

Agathe Quelquejay - Rossignol à la langue pourrie © Laurent Schneegans 1
Dans Rossignol à la langue pourrie de Jehan-Rictus, mise en scène de Guy-Pierre Couleau © Laurent Schneegans

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Comme n’importe quel enfant, j’adorais jouer dans la cour de récréation. J’ai simplement continué à le faire ! Mais pour répondre plus précisément, je crois qu’il y en a eu deux ! Le déclencheur Deschiens, d’abord. Nous les regardions à la TV et nous en avions toutes les cassettes. Le rire de mon père m’apportait beaucoup de douceur et de tendresse. Et il y a eu le déclencheur littérature. Au collège, en cours de français, nous étions régulièrement amenés à lire des extraits à voix haute et j’adorais ça, goûter les mots, les sortir du papier et les donner à entendre.

Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédienne ?
Oh, toutes sortes de choses ! L’attrait pour le langage, d’abord. J’ai toujours eu énormément de plaisir à manipuler le Verbe. Petite, je confondais les « p » et les « b », dyslexie qui m’a mise sur le chemin d’orthophonistes et de divers exercices très ludiques. Je suis rentrée dans l’écriture par une petite porte de côté, ouverte sur des sons et des images. C’est beau non, d’avoir eu la chance d’avoir eu des cours particuliers avec l’alphabet pendant quelques mois ?

Puis, il y eut aussi la soif permanente de découvrir de nouveaux auteurs, de nouveaux lieux, d’être active, toujours, pour ne pas croiser le quotidien. La chance d’avoir un espace pour poser des questions, distordre le temps, parler avec les mots d’un autre pour se raconter/se rencontrer soi.

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Il y eut le premier spectacle d’école, celui par lequel nous sommes tous passés ! Avec le prof de théâtre plus passionné que professionnel et les copains turbulents comme partenaires. Puis il y eut le spectacle plus conséquent, avec des moyens, de l’ambition et des talents. C’était La conférence des oiseaux, de Jean-Claude Carrière, mis en scène par Luc Cognet.

Agathe Quelquejay © DR, collection privée
Les premiers pas à 14 ans © DR, collection privée

J’avais été distribuée dans le rôle magnifique de la huppe, celle qui exhorte tous les oiseaux, « connus et inconnus », dans un long voyage initiatique à la recherche du Simorgh, l’oiseau roi. Sacrée responsabilité ! J’étais encore au lycée, je devais avoir 16 ans et la distribution comptait déjà des comédiens professionnels. La barre était haute et j’avais tellement peur de décevoir que j’avais appris le texte à vitesse grand V ! J’arrivais aux répétitions la gorge nouée et la boule au ventre… Heureusement, j’ai appris à travailler dans le plaisir et la sérénité, depuis. J’espère être plus détendue.

Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Je dirais Urlo de Pippo Delbono. J’étais sortie bouleversée par la force des corporéités, si singulières et donc si belles. C’est la première fois que je voyais des comédiens hors normes sur scène, métamorphosés, animalisés, asexués. Le texte devenait parole, les mots arrivaient par nécessité, ils étaient ciselés comme les gestes. Le corps devenait dansant et tout était grâce dans la disgrâce. Je ne saurais pas bien expliquer là où ça m’a touché mais ce fut une expérience si forte que lorsque j’ai dû écrire un mémoire, à la fac, il a porté sur le travail de Pippo Delbono.

Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Elles sont nombreuses, si je commence à en citer une, il faudrait que je les cite toutes et ce serait prendre le risque d’en vexer certain(e) ! C’est amusant parce que, j’aurais plutôt envie de citer tous les gens qui m’ont mis des bâtons dans les roues, qui m’ont humiliée, parfois, ou rabaissée. Merci à eux, c’est aussi grâce à leur frustration que je travaille aujourd’hui et que je savoure toutes les rencontres merveilleuses que je fais sur ma route. Allez, je donne quatre noms quand même, ceux que mon cœur me dicte à l’instant : Jean Rousseau, Georges Werler, Michel Laliberté et Guy-Pierre Couleau.

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Il fait intégralement partie de ma vie, je crois que c’est un positionnement, en fait. Tout est théâtre et propice au jeu. J’ai toujours regardé l’autre et le monde du coin de l’œil, avec un petit pas de côté.

Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée - Agathe Quelquejay © Laurencine Lot
Avec Michel Laliberté dans Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée d’Alfred de Musset © Laurencine Lot

Qu’est-ce qui vous inspire ?
Les toutes petites choses. Les discrètes, les différentes, celles qui se cachent, se camouflent, celles qui pensent passer inaperçues, celles qui échappent et celles que personne ne voit. Une manière de se passer la main dans les cheveux, de lever un sourcil, de respirer, de boire une gorgée d’eau ; une intonation particulière, un rire, un regard, une poignée de main.

De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Très horizontal.

À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Du foie et de l’estomac ! Le théâtre et la nourriture ont toujours été liés pour moi, ils sont mes plaisirs gourmands, indissociables l’un de l’autre. J’adore jouer puis grignoter en buvant un coup.

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Philippe Genty, – je rêverais de me frotter au travail de la marionnette – Macha Makaïeff, Jérôme Deschamps, Pierre Guillois, Yolande Moreau, Denis Marleau, Laurent Stocker… des gens talentueux ET gentils, en fait.

À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Un biopic sur une immense artiste. Je rêverais de pouvoir me métamorphoser, d’être coachée pour adopter un nouveau corps, de nouvelles attitudes, une nouvelle voix. Me fondre réellement dans quelqu’un d’autre… Cela pourrait être un homme aussi, d’ailleurs ! Ce serait même encore plus fou et donc encore meilleur ! Et puis repartir sur une création aux côtés de Guy-Pierre Couleau, mais c’est terrifiant de démarrer une nouvelle peinture après avoir été aussi heureuse et fière d’une toile, peinte à quatre mains !

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Je ne sais pas, un tableau dans le tableau, un second plan, un bateau au loin, un coucher de soleil discret, celle qui regarderait un point tandis que le monde regarderait ailleurs.


Rossignol à la langue pourrie, poèmes de Jehan-Rictus
Théâtre de l’Essaïon
6 rue Pierre au lard
75004 Paris.
Création février 2024

Reprise du 4 octobre 2024 au 2 février 2025
Durée 1h.

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