Un soir. La nuit. La silhouette longiligne de Pina Bausch fait face à celle musculeuse gracieuse de Micha Figa, cheval du théâtre équestre Zingaro. Entre ces deux êtres, une relation se noue amicale, fusionnelle, passionnelle. L’une est rétive, l’autre silencieux à l’écoute. Pourtant entre eux, sans qu’aucun mot ne soit échangé, une singulière et troublante alchimie voit le jour. Témoin privilégié de cette rencontre qu’il a provoquée, Bartabas esquisse le récit d’un rendez-vous qui aurait pu être manqué, les prémisses d’un spectacle qui n’a jamais eu lieu.
Pina, Micha Fuga et le silence
Entre la danseuse-chorégraphe et l’équidé, rien n’est inné. Des premiers instants polis, extrêmement formels, puis le silence, l’observation. Tous deux sont timides, indociles, discrets. L’un, l’autre se reconnaissent, étrangers au monde qui les entoure. Il y a de l’intangible dans tout cela, presque du surnaturel. Elle est une figure de la danse contemporaine, lui un des chevaux fétiches de Bartabas. Leur histoire commune est improbable pourtant elle durera dix ans. Une décennie, pendant laquelle, ils vont lentement s’apprivoiser. Durant ces longs tête-à-tête clandestins qui auront lieu, le plus souvent, la nuit, elle déposera imperceptiblement les armes, il pansera ses blessures, calmera ses angoisses.
De sa plume puissante, poétique, l’écuyer remonte le fil de ses souvenirs et invite à une plongée vertigineuse au plus près de ces instants volés et de ces échanges invisibles. Mettant en lumière avec beaucoup de pudeur les intangibles attaches de ces âmes blessées, Bartabas signe avec Un Geste vers le bas, une ode à l’amie perdue. D’un regard, ils se sont reconnus. De cigarettes en verres partagés, ils se sont confiés. Il a suffi d’un cheval pour sceller cette union artistique. Malheureusement, les planètes ne se sont jamais alignées pour concrétiser une belle chimère. Mais le rêve n’en est que plus beau, gravé à jamais dans les pages d’un beau et long poème.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Un geste vers le bas de Bartabas
Éditions Gallimard
Collection Blanche
parution en mars 2024
Prix conseillé 17 euros
