Né en 1975, Sébastien Azzopardi a quelque chose en lui de Dorian Gray, la jeunesse éternelle. Le temps a beau passer, les rides s’installent avec une légèreté telle qu’on ne lui donne pas son âge. Le sourire perpétuellement accroché aux lèvres, l’émerveillement dans le regard, cet homme calme a voué, dès son plus jeune âge, sa vie à sa passion, le théâtre.
Une famille bien implantée dans le théâtre
Pendant des années, Sébastien Azzopardi a caché sa filiation avec la grande Sarah Bernhardt, dont il descend en ligne directe. « Sarah Bernhardt a eu un fils, Maurice, et deux petites filles, Simone et Lysiane, qu’elle a élevées, surtout la dernière. Ma grand-mère, Terka, la fille de Simone est donc l’arrière-petite-fille de Sarah. Quand Sarah est morte, elle avait 13-14 ans. Elle avait donc de vrais souvenirs. Pour ma mère, Sylvie, Sarah était une personne vivante. Elle a entendu parler d’elle comme si elle était toujours de ce monde, et non pas comme d’une aïeule lointaine. Elle nous a transmis ces histoires. »
C’est par choix qu’il a longtemps gardé le silence. Car, lorsque l’on débute dans le métier, il faut trouver sa place et une légitimité. « Je n’ai pas renié Sarah, trois fois avant le chant du coq ». Sans rien savoir de cette filiation, le comité qui s’occupait de la célébration du centenaire de la mort de « La divine » a demandé au Théâtre du Palais Royal d’être partenaire de l’exposition du Petit Palais. Au même moment, Géraldine Martineau lui a proposé sa pièce L’extraordinaire destinée de Sarah Bernhardt, qu’il décide de produire et qui a fait l’ouverture de la saison 2024-2025. « C’est ainsi que j’ai décidé de sortir du placard ! »
De père en fils
Pendant des années, il a été le fils de son père, Christian Azzopardi. Un homme de théâtre qui a marqué son époque. En 1962, avec ses associés, Francis Nani et Francis Lemonnier (décédé en 1998), ils ouvrent, dans un lieu magnifique du Ve arrondissement, le Coupe-Chou. Un restaurant qui est tenu aujourd’hui par son frère Fabien. Sa sœur Juliette est une scénographe douée. Puis dans les années 1970, les trois Mousquetaires ouvrent dans le quartier Beaubourg, un autre Coupe-Chou : « Ils faisaient un peu de tout. C’était un café-théâtre mais pas comme on l’entend aujourd’hui. Ils pouvaient y faire des pièces de Tennessee William, du « théâtre sérieux » et accueillir des humoristes comme Les frères ennemis… »
À cette époque du Paris-la-nuit, les deux établissements étaient réputés et les gens du théâtre, du cinéma et de la musique s’y croisaient dans une ambiance très festive. « J’avais cinq ans lorsqu’ils ont vendu le Coupe-Chou Beaubourg ! Mes parents m’ont raconté que j’ai fondu en larmes. J’avais la sensation que l’on venait de vendre mon outil de travail ! En 1989, ils rachètent le prestigieux Théâtre du Palais Royal, il avait 14 ans.
Être sur scène, comme une évidence
Il n’a pas été, comme il le dit « trimballé dans les coulisses » et reconnaît avoir eu « enfance normale ». Il n’a néanmoins pas le souvenir d’avoir voulu faire autre chose que comédien. Lorsqu’il entre en CM2, Mme Lefebvre, son institutrice, qui montait tous les ans une pièce de théâtre, lui donne le rôle du maître à chanter dans Le Bourgeois Gentilhomme. Mais un jour, l’élève qui doit jouer M. Jourdan est absent à une répétition. La maîtresse lui demande de lire ses passages. Le résultat a dû être plus que concluant, puisqu’elle lui donne le rôle. « Je me suis mis à apprendre les 5 actes et à ressentir le soir de l’ultime représentation, au théâtre Mouffetard, le trac. Ce mélange d’appréhension, d’excitation, de peurs et d’envies. Et je me suis dit que c’était vraiment ça que j’avais envie de faire de ma vie. »
Il s’inscrit à l’atelier théâtre du prestigieux lycée Henri IV. À 16 ans, il entre au Conservatoire du Ve arrondissement. L’année suivante, il passe dans la classe adulte. À 18 ans, il entre au Cours Simon où durant trois ans, il suit l’enseignement de Rosine Margat. Très vite, à 20 ans, il commence à travailler pour les tournées Baret, qui l’ont engagé pour jouer le personnage de François dans Les portes qui claquent de Michel Fermaud, personnage créé par Jean-Claude Brialy en 1958 et repris par Francis Lemonnier en tournée. « Ensuite, j’ai joué dans des pièces de Francis Joffo, Vacances de rêves, Face à face, et Monsieur Chasse avec Chevallier et Laspalès ».
L’esprit de troupe
L’écriture est venue très vite, dès le lycée et « sans méthode ». Il se peaufine au Cours Simon en écrivant pour ses camarades des spectacles, « pour commencer à nous entraîner ». Cela pouvait aller de l’écriture d’une pièce à une adaptation. Il se crée une bande à qui il restera très fidèle, comme Thierry Lanckriet, Erwan Creignou, Domitille Bioret, Valérie Even… Ensuite les choses vont assez vite s’enchaîner. En 2002, il se fait vite remarquer au Théâtre de la Huchette, avec son premier spectacle, Les classiques contre-attaquent, qu’il a écrit à partir de Rabelais, La Fontaine et Voltaire. Son partenaire est un jeune inconnu, Franck Desmedt, qui aujourd’hui dirige ce même théâtre !
En 2004, il crée sa compagnie, avec sa compagne d’alors, Élisa Sergent. Ensemble, il monte Le Barbier de Séville au Théâtre des Cinq diamants, un petit lieu niché sur la Butte aux cailles. Le spectacle se fait repérer et est repris au Lucernaire. « Cela a tellement bien marché qu’ils m’ont demandé ce que j’avais comme spectacle ensuite. Ils m’ont donné carte blanche ! La seule question qu’ils m’ont posée concernait la date de la première » C’est ainsi qu’arrive Le tour du monde en 80 jours ! « Cela a été un raz de marée énorme. Comme les recettes du Lucernaire n’étaient pas publiées, personne dans Paris savait que cela faisait un tel succès ! »
Puis un soir, l’actrice Carole Massana vient les voir et en parle ensuite à Philippe Manesse du Café de la Gare. Sébastien Azzopardi se rappelle l’avoir vue arriver, après avoir assisté à la représentation, « avec son mètre pour mesurer le décor. Ils avaient un trou pour l’été, il m’a proposé de venir deux mois, on est resté cinq ans et demi. Ensuite nous sommes allés au Splendid. Le spectacle s’est joué quinze ans ! ».
La marque de fabrique Azzopardi se met en place
Au même moment, il montait un classique au Théâtre 14, L’éventail de Lady Windermere d’Oscar Wilde. Pièce reprise ensuite aux Bouffes Parisiens et pour laquelle, il a été nommé cinq fois aux Molières. Il aurait pu, comme il le dit « faire un choix de carrière. Soit, je rentrais dans le rang en montant des pièces avec tête d’affiche, soit je continuais à faire du théâtre inventif. J’ai choisi de faire du théâtre de troupe et de copains ».
En parlant de copain, il est nécessaire de faire une pause et d’aborder sa complicité avec Sacha Danino, avec lequel il a coécrit : Le Tour du Monde en 80 jours, Mission Florimont, Derniers coups de ciseaux, Coup(s) de théâtre, La dame blanche, Chapitre XIII, L’embarras du choix. Ces deux êtres complémentaires se connaissent depuis l’école primaire, mais c’est au lycée qu’ils deviennent les meilleurs amis du monde. « On allait au cinéma tout le temps, on refaisait les scénarios. On a même fait un groupe de musique ! Plein de choses… » et essentiellement des succès !
Le plaisir avant tout
La saison passée, le duo a écrit chacun de son côté, ce que Sébastien nomme en riant : « leur vraie première pièce ! ». Pour Sacha Danino ce fut Sacha contre Guitry et pour Sébastien Azzopardi, Ma version de l’histoire. Le sujet de sa pièce lui est venu alors qu’il venait de se séparer de sa deuxième compagne. Cette comédie douce explorait le couple en crise après vingt ans d’union dans laquelle chacun défend sa vision des choses.
Pour son nouveau spectacle, dont il signe uniquement la mise en scène, ADN, la pièce de Caroline Ami et Flavie Péan, l’artiste retrouve l’univers des thrillers, comme dans Piège pour Cendrillon. Le spectateur, impliqué dans une expérience immersive, va se retrouver à suivre « une aventure pleine de révélations, de courses-poursuites, de suspens et d’humour ». Techniquement, tout doit être réglé comme du papier à musique.
Direction Théâtre…
Son illustre aïeule et son père ayant dirigé un théâtre, il est évident qu’il n’allait pas échapper à ce destin tout tracé. Il dit avoir longtemps résisté aux nombreuses demandes de son parrain, Francis Nani, de venir le seconder. À l’époque, « ne voulant pas avoir trop de responsabilités », Sébastien préfère se consacrer à sa carrière artistique. « Quand mon père est mort (en 2013), cela a été un choc terrible pour Francis. C’était son meilleur ami, son ami d’enfance. Ils ont quitté l’Algérieensembles pour faire du théâtre à Paris. Ils s’appelaient quinze fois par jour. Francis était un peu anesthésié, ne bougeant plus de chez lui. La pièce qui était à l’affiche du Palais Royal ne marchant pas du tout, il nous fallait réagir ».
Trouver sa place
Même s’il était en tournée, comme comédien, avec Derniers coups de ciseaux, il trouve le temps de s’installer dans les bureaux du théâtre et part à la recherche du nouveau spectacle. Ce sera Le Repas des fauves, qui venait de triompher au Théâtre Michel. « Il a fallu que je trouve mes marques dans ce théâtre très marqué par son histoire et ses 700 places ! Cela m’a demandé d’avoir beaucoup d’audace, pour oser y faire du théâtre de troupe. L’été suivant, on a pris Les Fiancés de Loch, qui a reçu le Molière du meilleur spectacle musical, puis enchaîné avec Des souris et des hommes à 19h, et La Dame blanche à 21h. Ça a cartonné. »
Azzopardi avait trouvé la couleur à donner au Palais Royal. « On était les seuls, à ce moment-là dans Paris, à programmer dans une grande salle, du théâtre de troupe, sans tête d’affiche. Et puis est arrivé Edmond et là cela a été un raz de marée ! ».
Un homme très occupé
Mais il ne s’arrête pas là. En 2019, avec Francis Nani, il rachète le théâtre Michel. Il avoue être tombé sous le charme de ce charmant écrin lorsqu’il y jouait Mission Florimont. « C’était la bonne jauge, 335 places, pour tenter d’y faire des créations qui pourraient être originales. La première pièce programmée est La machine de Turing. « En très peu de temps, on a relevé ce lieu qui avait connu quelques difficultés. » Cela faisait un moment qu’il rêvait de reprendre un théâtre dont la jauge serait intermédiaire entre le Michel et le Palais Royal. Depuis la fin septembre, en association avec Pascal Guillaume, le voilà à la tête du Théâtre Saint-Georges, 498 places. Il possède ainsi les outils qui lui permettront « de développer des spectacles, avec trois jauges différentes ».
Très impliqué, il est le trésorier de l’Association pour le Soutien du Théâtre Privé et siège, en tant qu’administrateur, au conseil d’administration des Molières. Avec la direction de ses théâtres, ses activités artistiques, on devine que ses journées doivent être bien remplies. Père de deux garçons de 13 et 8 ans, il « ne transige pas » beaucoup avec cette partie-là de sa vie. « C’est trop important ». Pour cela, il reconnaît savoir déléguer. « Je me concentre plus sur l’artistique et mon associé Karim Daghfali s’occupe davantage du quotidien, de la gestion du personnel du Palais Royal. Au Michel il y a Emmanuelle Tachoires, qui fait le quotidien du directeur ! » Sébastien Azzopardi est un homme heureux. « Plus je fais des choix de cœur, plus je suis récompensé par l’adhésion du public, J’espère que cela va continuer, que là où mon cœur à envie d’aller, le public continuera à me suivre. »
Marie-Céline Nivière
Adn, un thriller tiré de faits réels de Caroline Ami et Flavie Péan
Théâtre Michel
38 rue des Mathurins
Du 3 octobre 2024 au 4 janvier 2025.
L’embarras du Choix de Sébastien Azzopardi et Sacha Danino
La Gaité Montparnasse
26 Rue de la Gaité
75014 Paris
Jusqu’au 29 juin 2025.
Derniers coups de ciseaux de Paul Portner
Théâtre des Mathurins
36, rue des Mathurins
75008 Paris
Reprise du 22 août 2024 au 28 juin 2025.
L’extraordinaire destinée de Sarah Bernhardt, texte et mise en scène de Géraldine Martineau
Théâtre du Palais Royal
38 rue Montpensier
75001 Paris
Du 27 août au 31 décembre 2024.