Pourquoi ce titre très long, mais très efficace ?
Rudy Milstein : C’est un petit hommage aux comédies des années 1970-1980 qui avaient souvent des titres très longs, comme Tout ce que vous avez voulu savoir sur le sexe (sans jamais oser le demander). Je voulais aussi que dans le titre l’on ressente le désespoir, et en même temps, l’humour ! Cela n’a pas été facile à trouver ! Ce titre-là résume parfaitement l’esprit de la pièce.
Il est clair, car ce n’est pas facile d’être heureux !
Rudy Milstein : La vie n’est faite que de complications et de trucs chiants à gérer. Et pourtant, de temps en temps, il y a des petits éclairs de bonheur ! Notre capacité à survivre réside d’une part, à savoir choper ces petits éclairs de bonheur et de l’autre, à savoir prendre du recul sur les moments d’échec et d’essayer d’en rire. J’ai grandi dans une famille ashkénaze qui a connu beaucoup de malheurs et j’ai donc grandi avec cette idée que tant qu’on peut rire, c’est que ça va.
Qui vous a donné ce style d’humour si réjouissant récompensé par le Molière de la meilleure comédie mais surtout le Molière du meilleur auteur, ce que l’on accorde que très rarement à un auteur de comédie… Je crois qu’il n’y a eu que Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui, qui l’ont eu !
Rudy Milstein : Ce sont des auteurs qui continuent de m’inspirer énormément, et j’ai besoin de me replonger régulièrement dans leur travail. Quand la pièce a reçu le Molière de la meilleure comédie, j’étais hyper heureux. J’ai dit le petit discours que j’avais préparé et quand je suis retourné à mon fauteuil, pour moi, la cérémonie était terminée. D’où ma surprise lorsque j’ai entendu mon nom ! Je n’avais rien prévu et cela se ressent dans le discours, je dis n’importe quoi !! À aucun moment, je me suis dit que c’était possible d’avoir celui de l’auteur car les comédies ne l’ont jamais.
Pourtant écrire une comédie, ce n’est pas une mince affaire…
Rudy Milstein : Écrire est pour moi salvateur, j’ai besoin de cracher régulièrement tout ce que j’ai dans la tête. Ensuite que ce soit une comédie ou pas, peu importe, la comédie n’est qu’un point de vue sur les choses. Ce que j’aime, c’est quand cela raconte quelque chose de très sombre et qu’en même temps cela soit drôle. Je suis heureux que pour une fois, un auteur de comédie ait été récompensé, d’abord parce que c’est moi (rire) et surtout parce que c’est un genre qui est quand même sous-estimé, alors que c’est une expérience collective tellement jouissive ! C’est un miroir que l’on montre aux gens : « Venez, on va regarder un peu nos travers, nos contradictions et on va rire de ça tous ensemble. »
On peut dire que dans vos histoires, comme chez Woody Allen, il y a toujours un peu de vous ?
Rudy Milstein : Mais n’est-ce pas le cas pour tous les auteurs ? J’imagine qu’on a en commun avec Woody Allen effectivement, la culture ashkénaze, faite de désespoir, de cette peur du néant, de la mort, et d’essayer d’en rire. On a aussi en commun, ce sens de l’autodérision. Et, il y a aussi l’amour d’une ville. Lui, il a Manhattan, moi, j’ai l’amour (ou le rejet, ça dépend vraiment des jours) de Paris. Oui, il y a énormément de moi dans la pièce mais aussi de ce que j’observe à droite et à gauche.
Diriez-vous, justement, que vous êtes un observateur compulsif de vos travers ?
Rudy Milstein : C’est Agnès Jaoui qui disait que pour être auteur, il faut faire une psychanalyse. Et je suis entièrement d’accord avec elle, parce que la psychanalyse aide à avoir de l’empathie pour tout le monde. Cela permet de comprendre pourquoi certaines personnes agissent mal. Certaines personnes, et nous même ! En faisant cette démarche, il faut d’abord se regarder soi-même. L’avantage de vieillir, c’est que l’on a conscience de nos limites et nos défauts. Qu’il faut être capable de se déprogrammer pour essayer d’empêcher de reproduire les mêmes schémas. La pièce parle aussi de cela.
Pour avoir vu toutes vos pièces et même vos compositions comme dans Chers parents d’Emmanuel et Armelle Parton, vous vous êtes créé un personnage qui vous ressemble, une sorte de Droopy lunaire, un rêveur qui doute, qui ne sait pas où il va mais qui va y aller quand même…
Rudy Milstein : Je ne sais pas… Quand je travaille un personnage, j’y mets forcément beaucoup de moi. Et depuis tout petit on me dit que je suis lunaire, j’imagine que c’est vrai… Quand Je commence une pensée, il y en a déjà douze autres qui naissent et qui partent dans tous les sens ! Ça demande un tel effort de concentration d’aller au bout d’une phrase ! Et puis je suis hyper sensible. Mon cerveau remarque les petites choses et je peux être très vite déconcentré par une voix, un bruit, un propos…
Vous êtes également un fin observateur des autres…
Rudy Milstein : Comme je disais, j’essaie toujours de comprendre pourquoi certaines personnes agissent de telle ou telle manière. Par exemple, le personnage du pervers narcissique de la pièce m’a été inspiré par un pote. C’est une énigme pour moi de comprendre pourquoi il fait ça, pourquoi il agit de la sorte, pourquoi il dit ces choses-là. C’est passionnant d’observer les autres, essayer de comprendre toutes les contradictions de chacun. Pourquoi d’un coup, quelqu’un va dire telle chose, alors je sais très bien qu’il pense l’inverse. Pourquoi a-t-il dit ceci à ce moment-là ? Tous ces jeux sociétaux et de séduction montrent à quel point on peut être différent en fonction des gens, en fonction de l’image qu’on veut laisser à l’autre si l’on a envie qu’il nous aime ou alors si on s’en fout complètement. Je prends énormément de plaisir à observer tout le monde et regarder un peu tous ces petits trucs-là. C’est passionnant d’essayer de comprendre.
Ce que l’on retrouve dans les relations amoureuses !
Rudy Milstein : Ce qui est captivant, c’est de voir à quel point la culture, la société, tout ce qui est autour, nous impose des choses qui font qu’on a du mal à réinventer notre propre couple quand il est nécessaire de le faire.
Le couple qui est une source de sujets inépuisables…
Rudy Milstein : Pour celui formé par Nora et Jonathan (Baya Rehaz ou Constance Carrelet et Nicolas Lumbreras), il y a l’usure. Ils ne s’épanouissent que dans le conflit. Sinon, ils s’ennuient. Mon personnage, Maxime, apparemment du style « paillasson », tombe amoureux de Timotée (Erwan Téréné), un dominant, qui est une sorte de pervers narcissique. En fait, ce sont deux névroses, qui viennent se rencontrer. Ce n’est pas que la faute du dominant car le paillasson est consentant. Je voulais qu’il y ait un couple homosexuel, mais sans que ces personnages-là soient caractérisés par leur sexualité. Le sujet de la pièce n’est pas du tout l’homosexualité. Ce sont juste deux êtres qui tentent de s’aimer et c’est tout.
Il y a aussi ce personnage de Jeanne (Zoé Bruneau ou Ariane Boumendil), une célibataire au cœur généreux, qui ne trouve pas sa place et qui fait contrepoint…
Rudy Milstein : C’est une autre sorte de paillasson ! Elle pense qu’en essayant de tout bien faire, manger bio, avoir une bonne hygiène de vie, être gentille en ne bousculant pas les gens, en ne disant pas vraiment ce qu’elle pense, elle va se faire accepter et se faire aimer. Et au final, pas du tout. Personne, même ses amis, ne la respectent pas. Et c’est elle qui va traverser la seule véritable épreuve de la pièce. Les autres n’ont que des problèmes de gens qui s’ennuient ! Mais elle va être la seule à être confrontée à la mort et cela va lui faire l’effet d’un électrochoc. Parce qu’effectivement, durant ses épreuves on se rend compte à quel point on perd du temps à essayer de séduire, de plaire, de se faire accepter d’un groupe. Elle va se libérer petit à petit de toutes ces contraintes sociétales.
La pièce a démarré en janvier dernier, Le bouche-à-oreille a très vite fonctionné, dès le démarrage du spectacle en janvier dernier. Quel a été L’effet des deux Molières ?
Rudy Milstein : C’est vrai que l’accueil du public a été génial dès le début ! Avant de commencer les producteurs me disaient que c’était une pièce de quarantenaires, mais les retours positifs viennent autant des adolescents que de leurs grands-parents. En fait, tout le monde va mal ! (Rires)Avec l’effet des Molières, surtout celui de la meilleure comédie, des gens se sont dit, « tiens on va voir un bon gros boulevard ». Personnellement j’adore vraiment les pièces de boulevard, mais ma pièce n’est pas cela. Je crois que certains spectateurs ont été un peu déroutés au début car on aborde des thèmes dont on ne parle pas souvent dans les comédies. De temps en temps, quand ça commence à parler des nazis, du cancer, ils se demandent s’ils ont le droit de rire ou pas. Je le dis donc aux futurs spectateurs : oui oui vous en avez le droit ! (Rires). C’est passionnant de voir à quel point la pièce se joue avec le public. En fonction de ce qu’il nous donne, la pièce a une couleur différente. Et nous sommes vraiment heureux !
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
C’est pas facile d’être heureux quand on va mal de Rudy Milstein
Théâtre Lepic
1 avenue Junot
75018 Paris.
Reprise du 4 septembre 2024 au 5 janvier 2025
Durée 1h15