L'Île aux pères de Liza Machover, Florian Bessin, Julien Moreau et Thibault Villette © Adèle Le Menelec Robert
© Adèle Le Menelec Robert

L’Île aux pères, les daddy issues servies sur un plateau

Au Théâtre 13, Liza Machover porte une réflexion douce-amère sur la paternité. Qu'ils soient absents ou morts, ces pères font le terreau d'une mise en scène qui nous promène à la lisière du théâtre.

Si l’ambition affichée de nombreuses créations est de réparer, il est difficile d’imaginer parfois que ce travail puisse s’accomplir quand le public reste passif. La réparation ici n’est pas une posture, elle est une recherche active, nécessairement pleine de lacunes tant le sujet est vaste. Mais elle prend chez chacun un écho très personnel.

L'Île aux pères de Liza Machover, Florian Bessin, Julien Moreau et Thibault Villette © Adèle Le Menelec Robert
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Tout part d’un concours stupide comme seuls les hommes éméchés savent les imaginer. Celui qui court le plus loin, qui saute le plus haut, qui passe le plus près du vide. À mesure que les défis se succèdent, le danger fait (dé)tourner les têtes jusqu’à un climax qui donne le ton. L’Île aux pères de Liza Machover laissera des silences dans l’audience et fera du bruit en chacun.

Ce rapport au jeu convoque des souvenirs universels, ceux des cours de récréation, des cours de sport collectif, des films de super héros. Mais on s’amuse aussi des stéréotypes. Le patriarche, mains sur les hanches, qui défile fièrement, clés en main, à côté de sa nouvelle (grosse) voiture. Cet autre père encore qui multiplie les expressions ringardes, les jeux de mots surannés, ces phrases qui évoquent immédiatement des visages, des noms, des souvenirs.

Doucement, la part que les trois comédiens (Florian Bessin, Julien Moreau et Thibault Villette) apportent au projet se précise et avec elle, un objectif ambitieux : repenser son enfance et, pourquoi pas ?, se réconcilier avec elle.

L'Île aux pères de Liza Machover, Florian Bessin, Julien Moreau et Thibault Villette © Adèle Le Menelec Robert
© Adèle Le Menelec Robert

Dans ce décor qui rappelle une grande malle à jouets dont on ne peut que rêver la prochaine trouvaille, les personnages défilent. Il semble à première vue qu’il n’y ait pas de fil rouge tant les souvenirs se concurrencent et qu’on passe d’une situation à une autre par la seule logique du jeu. Tombé d’épuisement après un fou rire, on devient le mort de la séquence suivante. Mais c’est oublier là ce qui lie toutes ces situations, fictives ou réelles, désopilantes ou tragiques ; une absence du père et, en tout cas, le manque de preuve d’amour de sa part.

On pense à ce père qu’on ne parvient pas à réellement tourner en dérision alors qu’il humilie son fils devant un stade entier, cet enfant qui oublie le match de foot et cueille une à une les fleurs aux abords du terrain. Un acte de candeur extrême qui se heurte à l’égo d’un homme, mis à mal dans sa recherche de performance (déléguée à son fils).

On pense également à ce spectacle infantile comme nous sommes nombreux à en avoir fait subir à nos familles où bien vite, l’enfant concentré sur son pas de danse trouve justice dans le lâcher-prise, la technique, la passion qu’il apprendra bien plus tard.

L'Île aux pères de Liza Machover, Florian Bessin, Julien Moreau et Thibault Villette © Adèle Le Menelec Robert
L’Île aux pères de Liza Machover, Florian Bessin, Julien Moreau et Thibault Villette © Adèle Le Menelec Robert

Les anecdotes défilent et esquissent le tracé d’une carte, celle de cette fameuse Île aux pères qu’on cherche au large de la Normandie. Une île où on apprend à dire « je t’aime ». Une île dont on ne repart jamais vraiment. La fable est touchante, sûrement permet-elle de combler un vide. Trahi par ses silences, le spectateur convoque ses propres fantômes.

Alors que le spectacle semble se terminer, nous devenons héros alors de cette énigme, forcés de construire nous-mêmes nos propres puzzles. Comme dans une exposition immersive, le public est maître de sa propre expérience, qu’il s’agisse d’écrire la carte qu’il nous aurait plu de recevoir, un mot adressé à notre père, ou continuer à se nourrir du souvenir des autres.

Les yeux embués de larmes, on se promène comme dans une tendre kermesse où chaque stand met un peu de baume au cœur. Dans cet univers insulaire qui prend parfois ses distances vis-à-vis du théâtre, on s’émeut autant de perdre pied que de mettre le doigt sur ce qui nous serre le cœur. Preuve que bien plus qu’une juxtaposition de situations tragi-comiques, la pièce de Liza Machover brosse le portrait d’une société patriarcale dans laquelle les hommes doivent apprendre à aimer.


L’Île aux pères de Liza Machover, Florian Bessin, Julien Moreau et Thibault Villette
Théâtre 13 – Bibliothèque
30 Rue du Chevaleret
75013 Paris
jusqu’au 4 octobre 2024

Durée 2h

tournée
29 janvier au 1er février 2025 au Théâtre du Point du jour, Lyon

Conception, mise en scène et dramaturgie de Liza Machover
Collaboration artistique, jeu – Florian Bessin, Julien Moreau, Thibault Villette
Aide à la dramaturgie – Carolina Rebolledo-Vera conseillée par Alex Mesnil
Scénographie de Carine Ravaud aidée par Florian Bessin
Chorégraphie de Marie Rasolomanana &Julien Moreau
Son et régie générale – Benjamin Möller
Création lumières de Maureen Sizun Vom Dorp
Régie lumières – Maureen Sizun Vom Dorp / Paul Argis
Captations et montage vidéo – Alex Mesnil, Claire Dantec
Costumes de Jonathan Devrieux

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