Dans les couloirs du Palais des arts de Vannes, tout en admirant les magnétiques portraits noir et blanc de Gilles Vidal, le photographe officiel des Émancipéés depuis leur création en 2017, festivaliers et artistes invités se croisent, se saluent et échangent des regards complices. Convivialité et voyage immobile sont les maîtres mots de cette manifestation morbihannaise, soutenue par les Scènes du Golfe, dirigée depuis mars par Rozenn Le Bris, qui met à l’honneur autrices, auteurs, comédiennes, comédiens, chanteuses, chanteurs, musiciennes et musiciens.
De Béatrice Dalle à Zaho de Sagazan, en passant par Virginie Despentes, Alice Zeniter ou Cyril Mokaiesh, chaque édition invite à des rencontres passionnantes entre mots et notes, entre plume et voix. Pour ce rendez-vous passé, cette saison, du printemps à l’automne, Ghislaine Gouby, fondatrice de l’évenement, a composé de beaux moments, de touchants tableaux artistiques : concerts sur le port en ouverture, plongée dans l’univers très music-hall de Colette, incarnée au plateau par l’éblouissante Cléo Sénia, lectures de poèmes évoquant l’exil par l’ancienne ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, et le jeune artiste Falmarès, balade littéraire avec Tania de Montaigne, et pour finir en beauté récital très jazzy par le duo détonant André Manoukian et Rosemary Standley.
Histoire d’une passion
Salle Ropartz, en toute intimité ou presque, le journaliste littéraire Alexandre Fillon propose à l’écrivaine Tania de Montaigne d’évoquer son parcours. Élevée par sa mère dans le sud de la région parisienne, elle découvre le théâtre lors d’une colonie estivale à Avignon. On est 1988. Dans la cour d’honneur du Palais des Papes, Patrice Chéreau crée Hamlet. C’est le choc. Elle ne s’en remettra pas. Le virus de l’art dramatique et de littérature est pris. Après des études à l’École des hautes études internationales et politiques, elle s’engage auprès des jeunes du centre social de Draveil, la transmission en point de mire.
Journaliste, femme de lettres, elle n’a pas son pareil pour compter une histoire et remettre les pendules à l’heure. Noire, tout comme l’essai biographique qu’elle écrit sur Claudette Colvin, elle l’est et l’assume. Elle refuse toute circonvolution, toute bienpensance mal placée. Sa langue, elle ne l’a pas dans sa poche. Et sa plume non, plus. Une belle rencontre pleine d’humour et d’uppercuts contre tous les racismes, les intolérances, même les plus ordinaires.
Odes aux poètes
Passionnée de poésie, Rima Abdul Malak aime la mélodie des mots, le brassage des idées. Contactée par Ghislaine Gouby pour participer aux Émancipéés, elle n’a pu résister à l’idée de partager ses coups de cœur et faire découvrir de nouveaux auteurs. Accompagnée par Falmarès, poète guinéen de 22 ans, arrivé à Vannes Nantes en 2017 après un long périple, l’ancienne ministre de la Culture propose une flânerie entre douleur du déracinement et l’obligation de renaître ailleurs.
De Victor Hugo à Missak Manouchian en passant par Mahmoud Darwich, pour les grands noms, de Sofia Karámpali Farhat à Sabine Huynh sans oublier la prose de Jeanne Benameur, pour d’autres horizons, de Marc Alexandre Oho Bambe à Nawel Ben Kraïem ou Roja Chamankar, pour d’autres regards, les phrases, belles, troublantes résonnent dans l’espace, virevoltent dans les airs. Les sons se conjuguent et ensorcellent. La magie opère. Ces visions d’un autre monde, ces vies autres qui surgissent du passé ou qui percutent nos existences bien tranquilles, invitent à penser autrement l’exil, l’émigration et la manière d’accueillir ceux qui ont été arrachés par force ou par obligation de leur terre.
Une voix éblouissante et des anecdotes
Le festival touche à sa fin. Salle Lesage, pleine à craquer, André Manoukian, le jazz man, et Rosemary Standley, chanteuse du groupe Moriatry, convient les Vannais les vannetais à une promenade musicale au gré des notes et de leurs souvenirs. Faisant le choix de chansons à texte, ils imaginent un récital qui évoque autant les amours perdues que les passions endormies.
De La Chanson de Prévert de Gainsbourg aux Enfants du Pirée que Mélina Mercouri, Nana Mouskouri et Dalida ont chacune à leur manière interprété, en passant par les Amants d’un jour de Piaf ou Cry me a river, standard du jazz américain d’Arthur Hamilton, les deux artistes dessinent à travers une série d’anecdotes une troublante échappée belle portée par la voix toute en épure de la chanteuse. Impressionnante, aux côtés du trublion Manoukian, elle irradie l’espace. Derniers saluts, la manifestation touche à sa fin. Loin d’un adieu aux Émancipéés, c’est un au revoir pour de nouvelles aventures, de nouvelles lignes qui se profilent à l’horizon. Alors vogue la galère sur une mer de mots et à Bientôt !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Vannes
Festival Les Émancipéés
du 27 septembre et 6 octobre 2024
Les Scénes du Golfe
Palais des Arts et des Congrès
Place de Bretagne
56000 Vannes