© Claire Gaby

Johana Giacardi libère la parole des anonymes

À Marseille, le Théâtre des Bernardines ouvre sa saison avec la nouvelle création de la compagnie Les Estivants, C’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule.

Pendant plus de trente ans, la voix apaisante et rauque de Macha Béranger a ouvert un espace de confiance partagé par les auditeurs sans sommeil de France Inter. Dans cette émission propice à la confidence, les appelants en quête de conseils, de réconfort ou simplement d’un auditoire constituaient, pour la première fois dans l’histoire de la radio, le matériau éditorial principal, laissant ainsi une place capitale à l’imprévu. S’inspirant de ce concept découvert sur le tard, Johana Giacardi a souhaité le réinventer pour le théâtre, donnant aux anonymes (ou presque) l’occasion de prendre la parole à l’impromptu à peu de chose près.

© Claire Gaby

Après avoir parcouru la France avec son précédent spectacle La Saga de Molière, la compagnie Les Estivants poursuit sa volonté d’un théâtre qui se déplace et part à la rencontre du public. Pour concevoir C’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule, c’est même précisément ce public qui est le point de départ de l’écriture. En 2023, Johana Giacardi engage en effet sans vraiment le savoir les prémices de son travail dramaturgique, se livrant à une expérience humaine qui consiste à inviter des anonymes à franchir la porte de sa caravane pour venir se confier à elle. C’est en constatant la générosité et la simplicité avec lesquelles ces personnes se livrent que la metteuse en scène en est convaincue : si cette parole prend un tel sens d’une bouche à une oreille, pourquoi n’en serait-il pas de même dans un cadre plus collectif ?

Dès lors, elle engage à ses côtés sa compagnie Les Estivants avec qui elle imagine un espace dédié à faciliter la parole libre. Le cercle apparaît inévitable. Autour du plateau blanc, les regards se croisent forcément d’un gradin de bois à l’autre, et déjà les premières craintes de l’inattendu se ressentent. Pourtant Johana Giacardi aura tout fait pour mettre tout le monde à l’aise, accueillant les spectateurs un à un en leur distribuant les paroles de Forever Young d’Alphaville, expliquant bientôt que nous chanterons tous ensemble à la fin du spectacle… si spectacle il y a.

Car dans son introduction, la metteuse en scène jette déjà un flou sur la nature de ce qui attend les spectateurs. Témoignages réels ou textes répétés, spectatrices lambda ou comédiennes professionnelles… le doute subsiste à peine quelques minutes et déjà tout s’éclaire : ce qu’il restera d’impromptu ici ne le sera qu’à la marge. Ce n’est pourtant pas faute de chercher à impliquer – parfois avec insistance – les véritables spectateurs pour recueillir leurs réactions. Mais en dépit de ses airs de thérapie de groupe, C’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule finit par s’affirmer peu à peu dans sa théâtralité, glissant finalement du jeu potache à une interprétation plus sincère et touchante en fin de représentation.

Avec cette nouvelle pièce, Johana Giacardi continue de développer un théâtre qui se partage et dans lequel la notion de plaisir est essentielle, quitte à laisser sciemment de côté ceux qui “se prennent au sérieux”. Dans C’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule, la compagnie Les Estivants persiste et signe avec la proximité et les rencontres que permet le théâtre, donnant malgré tout la parole à celles et ceux que l’on n’entend jamais. Et pour cause, derrière l’interprétation appuyée qui leur fait parfois perdre leur naturel sur ce plateau, les témoignages à l’origine de ces textes sont réels. Maintenant cet espace nécessaire de sincérité, cette création défend ainsi le droit souvent oublié de s’exprimer sans contrainte et sans jugement, quoi qu’on ait à raconter.


C’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule de Johana Giacardi
Théâtre des Bernardines – Les Théâtres – Marseille
Du 27 septembre au 5 octobre 2024
Durée 1h20 environ

Tournée
9 au 11 octobre 2024 au Théâtre La Passerelle, Scène Nationale de Gap
28 et 29 janvier 2025 au
Théâtre du Briançonnais, Briançon
1er au 15 février 2025 au
Théâtre Public de Montreuil – CDN, Montreuil
mars 2025 au
Théâtre d’Arles
1er avril 2025 au Forum Jacques Prévert, Carros
3 et 4 avril 2025 au
Sémaphore, Port de Bouc

Mise en scène et écriture Johana Giacardi
Directrice de production Cie Lisiane Gether
Conception décors et accessoires Camille Lemonnier
Création costumes Johana Giacardi, Camille Lemonnier assistées de Tatiane Bertaud
, Création lumières Lola Delelo, Création sonore Juliette Sebesi
Avec Anais Aouat, Naïs Desiles, Anne-Sophie Derouet, Johana Giacardi, Edith Mailaender

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