Comment est née la rencontre avec Yang Hua Theatre ?
Jean Bellorini : La rencontre avec Yang Hua s’est faite en 2019 autour d’Un instant, d’après À la Recherche du temps perdu de Marcel Proust. Les producteurs Wang Keran et Anaïs Martane ont vu le spectacle au Printemps des Comédiens et ont eu un coup de cœur. Leur envie était de refaire ce spectacle dans une version chinoise. L’idée était folle, mais dans ce cas précis, elle m’a semblée intéressante. Puis le Covid est arrivé… et tout s’est arrêté. Nos rêves se sont évanouis. Quelques années plus tard, dans le cadre de la célébration des soixante ans des relations diplomatiques franco-chinoises, Yang Hua m’a proposé de venir mettre en scène Les Misérables. Idée que j’ai trouvée très audacieuse. J’ai accepté tout de suite.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de monter avec cette troupe Les Misérables de Victor Hugo, dont vous aviez déjà fait une adaptation en France ?
Jean Bellorini : La culture chinoise est complexe et d’une façon générale, les êtres humains ont intérêt à partager davantage. Nous avons besoin de nous comprendre et de dialoguer. J’ai voulu participer à une meilleure compréhension des deux cultures. Je souhaitais faire entendre la magnifique langue de Victor Hugo et aussi l’humanité de son propos, à l’échelle philosophique. Les Misérables est une œuvre très connue en Chine, lue par tous les enfants. On pouvait s’appuyer sur un inconscient collectif, correspondant à mon idée d’un théâtre qui serait un lieu hanté, habité par des fantômes (Cosette, Jean Valjean, Fantine, les Thénardier…) que sont ces personnages de papier. Le théâtre nous touche quand il fait appel à notre mémoire collective.
Et puis l’intérêt de travailler avec une troupe d’acteurs chinois était de chercher un théâtre qui ne serait ni exactement le leur ni exactement le mien, un théâtre-récit nourri de nos deux cultures. Liu Ye, l’acteur principal, est une immense star en Chine. Il interprète Jean Valjean de façon complètement universelle tout en nous faisant entendre son histoire intime. Son authenticité et la vérité de sa présence sont magnifiques. Il a su tout au long des répétitions me comprendre parfaitement, devancer mes intentions et les transmettre aux acteurs.
Est-ce le même spectacle que celui que vous aviez créé en 2010 ?
Jean Bellorini : Non ce n’est pas Tempête sous un crâne ! Ce ne sont pas exactement les mêmes morceaux choisis. Les acteurs étaient sept en France, ils sont quatorze en Chine ! Chacun incarne un personnage. Ce n’est pas un chœur comme avec ma troupe lorsque nous avions créé le spectacle il y a plus de dix ans. Cependant, c’est curieux comme certaines sensations reviennent pendant la représentation : c’est en mandarin, et pourtant, le rythme de certains épisodes s’entend exactement comme il y a plus de dix ans en français.
Comment se sont passées les répétitions ?
Jean Bellorini : Magnifiquement bien. avec une bienveillance, un travail acharné de la part de tous les interprètes et une curiosité réciproque dans la rencontre artistique ! Nous étions tous portés par Et une double compréhension de l’œuvre en permanence : envie de raconter l’histoire écrite par Victor Hugo et envie d’être une caisse de résonance de notre monde, avec la mise en avant de ces valeurs humaines et humanistes que sont la de générosité, la bonté, l’égalité et la fraternité.
Y a-t-il une différence dans la façon de travailler entre la France et la Chine ?
Jean Bellorini : Totalement et absolument pas. Totalement parce que les repères culturels ne sont pas les mêmes, les écoles d’acteurs non plus. Mon style de travail pouvait apparaître comme nouveau pour les acteurs. Et en même temps, il n’y avait pas vraiment de différence dans la mesure où nous nous sommes reconnus dans le même humour en répétitions, les mêmes pudeurs, les mêmes émotions. Expérience extraordinaire en cela qu’elle fut la preuve que l’humanité est une et entière. L’universalité de l’humanité est réelle. Cette impression peut apparaître un peu lyrique mais je l’ai ressentie concrètement. Le théâtre fabrique de la fraternité.
Cette expérience semble vous avoir inspiré, puisque vous créez l’an prochain un autre spectacle avec cette troupe ?
Jean Bellorini: J’ai adoré toute l’équipe, pas uniquement la troupe d’acteurs, mais aussi l’équipe technique, les assistants qui ont guidé le spectacle pendant six mois de tournée dans seize villes devant plus de 43 000 spectateurs. L’idée est d’aller plus loin encore dans la rencontre artistique et l’échange culturel. C’est au cœur du projet à venir. Nous aurons une distribution qui mêlera des acteurs français et des acteurs chinois. Je souhaite aussi mêler les matières littéraires, en puisant parmi les grandes œuvres poétiques de nos deux mondes : ici, il pourrait s’agir d’une variation autour du Petit Prince et d’autres écrits d’Antoine de Saint-Exupéry associés à des poèmes Tang du VIIIème siècle.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Les Misérables d’après Victor Hugo
Création le 19 janvier 2024 au Shuzhou Bay Grand Theatre
salle Roger-Planchon
TNP-Villeurbanne
8 place Lazare-Goujon
69627 Villeurbanne cedex
les 2 et 3 novembre 2024 – samedi à 19 h, dimanche à 15 h 30
durée : 3 h 30 (entracte compris) spectacle en mandarin surtitré en français
mise en scène de Jean Bellorini assité de Ray Zhang
adaptation de Jean Bellorini et Mathieu Coblentz
avec les comédiens et comédiennes du Yang Hua Theatre – Liu Ye, Lin Lin, Lin Jifan, Li Jing, Jiang Hao Yan, Liu Chongzuo, Li Qixuan, Luo Yongjuan, Hua Qi, Shi Ke, Tao Hui, Chen Zui, Zhu Meng
claviers et accordéon – Chen Minhua
batterie – Zhang Ruijia
traduction de Ning Chunyan
scénographie de Véronique Chazal
lumière et composition musicale de Jean Bellorini
direction musicale de Sébastien Trouvé
costumes de Macha Makeïeff