© Nicolas Boudier

Cornucopia, l’angoissante et fascinante utopie de Joris Mathieu

Le directeur du Théâtre Nouvelle Génération prend ses quartiers au Théâtre national Populaire à Villeurbanne à l’occasion d’une nouvelle création futuriste et innovante.

Bienvenue à Cornucopia, société post-contemporaine tout droit sortie de l’imaginaire de Joris Mathieu. Développant avec ce spectacle le deuxième volet de son cycle « D’autres mondes possibles », l’actuel directeur du TNG poursuit sa plongée dans les aspirations utopiques de notre espèce. Entouré de son ensemble Haut et Court, l’auteur et metteur en scène conçoit avec cette création une forme dont le récit s’exprime presque moins par les mots que par le surprenant univers technique et visuel dans lequel il prend place.

© Nicolas Boudier

C’est effrayant de constater à quel point, dans nos esprits contemporains, tout ce qui a trait de près ou de loin à une forme d’utopie finit systématiquement par nous déshumaniser. Derrière les visages nécessairement lissés, sous les perruques forcément uniformisées, à travers les sourires évidemment contraints, c’est tout un pan oubliable de notre espèce que l’on voudrait dissimuler. Cornucopia n’y déroge pas, ses citoyens refoulant derrière les apparences de perfection un idéal auquel il devient de plus en plus difficile de croire. Pourtant tous les éléments étaient réunis. Ici les libertés individuelles semblent être le terreau même du vivre ensemble, au service d’un objectif commun : celui de l’abondance survenant enfin après de longues périodes de croyance et de privation.

Pour cette création, Joris Mathieu s’accapare tous les codes de la fiction d’anticipation : une société nouvelle, un but absolu, un ordre établi et en définitive un élément perturbateur anticonformiste qui vient réduire à néant les progrès des générations précédentes. Mais si l’écriture de Cornucopia se construit, dans le récit, comme bon nombre de dystopies, l’objet scénique qui la porte est en revanche un petit bijou d’ingéniosité et d’originalité. De la scénographie aux lumières en passant par les costumes, de la pensée même du projet à son application technique, Joris Mathieu et Nicolas Boudier plongent leur dramaturgie dans l’inconnu et mettent la technologie au service de l’illusion théâtrale.

© Nicolas Boudier

D’emblée, la compagnie Haut et Court s’amuse à perturber nos habitudes confortables de spectateurs. Aucun gradin, aucun siège, aucun plateau identifié, pourtant un homme déclame avec solennité un semblant de prologue depuis son estrade de laquelle il s’élève face à la foule venue l’écouter. De par sa posture, autant que sur son slip qui annonce la première scène du premier acte, un certain théâtre a bel et bien lieu. Mais c’est derrière lui, à l’intérieur du grand cylindre qui occupe l’espace et dans lequel il nous invite bientôt à pénétrer pour constituer une assemblée, que tout s’apprête à se révéler. Mêlant la scénographie intégrale à la narration, Joris Mathieu et Nicolas Boudier ont conçu là un espace qui emprunte à la magie et qui invite à l’émerveillement.

Usant subtilement des moyens à sa disposition, le binôme rivalise d’inventivité pour jouer avec notre regard d’enfant. Lumières travaillées en phosphorescence, éléments robotisés et jeux d’apparition et de disparition aux accents futuristes, c’est l’environnement tout entier – et ses habitants avec – qui concourt à une forme esthétique inédite. Mais dans cet espace clos où se mêlent la réalité de notre monde et la fiction de Cornucopia, les parallèles sont crispants. Sous ses airs d’épopée gentillette, la pièce nous pousse en vérité à contempler, impuissants, nos travers d’êtres humains. C’est peut-être la dernière occasion de croire que nos ressources sont infinies ou qu’il est encore possible d’échapper au totalitarisme… Joris Mathieu poursuit en tout cas avec brio sa recherche d’autres mondes possibles. L’histoire ne dit cependant pas si ces mondes sont enviables.


Cornucopia – D’autres mondes possible (épisode 2) de Joris Mathieu et Nicolas Boudier
Théâtre National Populaire – Villeurbanne
Avec le Théâtre Nouvelle Génération – Lyon
Du 8 au 19 octobre 2024
Durée 1h10

Tournée
4 au 6 décembre 2024 à
La Comédie de Valence
8 au 10 janvier 2025 aux 2 Scènes Besançon
30 janvier au 1er février 2025 au Lieu Unique Nantes
4 au 6 février 2025 au Théâtre Saint-Nazaire

avec : Philippe Chareyron, Vincent Hermano, Marion Talotti
texte et mise en scène : Joris Mathieu
dispositif scénique et dramaturgie : Joris Mathieu et Nicolas Boudier
scénographie et lumière : Nicolas Boudier
musique : Nicolas Thévenet
vidéo : Siegfried Marque
costumes et accessoires : Rachel Garcia assistée de Véronique Lorne, Marlène Hemont et de l’atelier de costumes du TNP
construction de la scénographie : les ateliers du TNP et l’équipe technique du TNG
régie générale et régie plateau :  Stephen Vernay

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