Quelle est la genèse de ce spectacle ?
Charles Templon : Cette création est née d’une complicité avec mes amis Benjamin Gauthier et Karine Dubernet et d’une réflexion partagée sur la fameuse fin de vie ! Ces deux co-auteurs m’ont raconté leurs histoires familiales différentes dans les faits mais proches sentimentalement et m’ont invité à découvrir le documentaire de Fernand Melgar. J’ai eu un choc en découvrant ce film et le parcours de ces personnes : les malades en attente et les bénévoles en action. Cela m’a permis de prendre conscience de la situation de ceux qui attendent et l’existence d’un déni social qui caractérise notre rapport contemporain à la mort. J’ai ressenti un besoin viscéral de faire connaître ce groupe d’aidants et leur travail ô combien sensible.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’amener ce sujet sur un plateau de théâtre ?
Charles Templon : Le double uppercut est arrivé au moment où j’ai lu leur première adaptation, respectueuse, parfois crue, drôle et tellement humaine. C’était proche du documentaire mais la théâtralité était là. Le ton était mordant. Sans aucune volonté de moquerie, on a souhaité distiller de la comédie ça et là pour rendre ces situations tragiques moins brutales. Et puis le rire c’est la vie !
Traiter de ce sujet en montrant le quotidien et la « normalité » de cette association Exit, tout en dénonçant avec humour la lenteur de notre pays face à la fin de vie m’a vraiment motivé. Tout ce qui est encore peu représenté au théâtre me donne toujours plus envie de le montrer. L’enthousiasme pour le montage de ce spectacle a été de nombreuses fois remis en cause… Cela faisait huit ans que je me débattais dans tous les sens. Très peu de professionnels du spectacle vivant avaient envie d’entendre parler de fin de vie. Je me suis heurté à tant de débats absurdes comme « le public n’a pas envie de ça en ce moment » …
Finalement je me suis rendu compte que nos professionnels agissaient comme les pouvoirs publics, en ne prenant pas conscience de la souffrance intolérable de certains Français. Ce projet de pièce est devenu une cause personnelle. Plus on a refusé de m’aider et plus j’ai eu envie de le créer. Et puis au fur et à mesure, la mort et la fin de vie sont devenues des thèmes récurrents du débat social et politique… et j’ai fini par rencontrer les bonnes personnes et les bons partenaires.
J’aime quand le théâtre est à la fois esthétique et politique. Il faut qu’il remue mes émotions. Si ça ne touche que mon intellect, je m’ennuie et je m’endors. Rien n’est plus fort que parler de la vie et de la mort par le prisme de la poésie, de l’humour et du théâtre.
Pourquoi aujourd’hui, alors que la loi a été enterrée à la suite de la dissolution, il nécessaire d’évoquer ce sujet ?
Charles Templon : Nous devons changer de logique. Il faut que ce soit la personne concernée qui puisse décider ! C’est important d’entendre les Français, relire la convention citoyenne et écouter les parlementaires favorables à cette réforme. Il faut cesser de mépriser la majorité des Français qui depuis des années sont favorables à l’aide active à mourir. Tous ces bénévoles qui accompagnent les gens en Suisse, en Belgique aussi le savent. Ces personnes en fin de vie souhaitent mourir dignement et avoir le choix.
Il faut mettre fin à cette immense hypocrisie qui permet seulement à ceux qui ont les informations et moyens financiers de pouvoir partir à l’étranger. Il faut permettre à chacun de mourir entouré des siens dans « la patrie des droits de l’homme » ! Bien sûr, cela soulève des problèmes éthiques, philosophiques et religieux. Personnellement, je pense depuis le premier jour qu’on doit être libre du sens à donner à sa vie.
Avoir la possibilité de mettre fin à ses jours en étant accompagné, aidé, entouré des siens ne veut pas dire que tous passeront à l’acte. Une scène très forte de la pièce traite justement de la remise en question d’un des protagonistes le soir où il devait passer à l’acte. En France, il faut saluer le travail titanesque de l’ADMD (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité) sur le terrain et dans l’ombre, qui travaille sur la sémantique de chaque virgule du projet de loi. Et puis la dissolution a eu lieu.
Le théâtre est-il l’endroit pour en parler et pourquoi ?
Charles Templon : Le théâtre est l’endroit de l’absolue liberté. Il n’a pas seulement vocation à divertir. Il peut, aussi aider à réfléchir et à militer. Ce récit est devenu un plaidoyer au cours de sa présentation au Festival Off Avignon. Bien qu’il ne prenne jamais position, et qu’il ouvre le débat – ce récit beaucoup fait parler de lui. Le public avait besoin d’en discuter à la sortie et de venir nous témoigner leur position ou même leur vécu. On pouvait s’y attendre. Nous avons donc rencontré le public de ce spectacle ! Cette aventure est la quintessence du « À quoi le théâtre peut-il servir ? ».
Nous partons de l’intime pour arriver au politique. Si le théâtre peut être un passeur … Le politique a toujours un temps de retard par rapport aux Français. Le théâtre est politique. Si la personne se trouvant à l’Élysée pouvait faire signe de clairvoyance et d’empathie sur ses derniers mois de règne…
Comment avez-vous travaillé le texte, qui est une adaptation du documentaire de Fernand Melgar, pour le porter au plateau ?
Charles Templon : Le plus grand défi du travail se trouve dans la réinvention des situations – extraites parfois du documentaire – et même dans une certaine forme d’improvisation. Dans ce type de projet, on travaille aussi sur l’improvisation par souci de se soumettre à un désir de spontanéité. Et puis, j’ai des comédiennes et comédiens très instinctifs – qui n’ont pas eu besoin d’intellectualiser la dramaturgie.
Très rapidement, il a été acté que la troupe ne sortirait jamais du plateau et ferait corps avec les mots des aidants et des malades, parfois en brouillant volontairement les pistes. Nous passons d’une situation à une autre grâce aux transformations du corps et non par les répliques. Ainsi, nous avons vite banni la convention « scène 1, scène 2. » Nous avons essoré le texte et les situations. Ce qui est présent au plateau est le résultat de plusieurs années de réflexion ! Huit ans, puis six semaines de répétitions.
Comment s’est fait le choix des comédiens ?
Charles Templon : Très tôt, j’avais envie d’enrichir la pièce de personnalités issues de différentes « familles de théâtre », de générations et d’emplois physiques différents. Ce projet ne nécessitait pas d’être très nombreux au plateau. Ce n’est pas du théâtre-documentaire car tous les comédiens jouent deux personnages ; un malade et un aidant.
La constitution du groupe a été fondamentale. Les recherches et attentes ont été très longues. J’avais vu jouer chacune et chacun auparavant et l’envie de les rencontrer un jour était forte. Je crois que jamais, depuis que je mets en scène, un ensemble a été aussi hétérogène et heureux ! Chacune et chacun affirmant sa propre individualité dans sa force autant que dans sa vulnérabilité. Cela peut paraître démago mais j’ai une chance inouïe d’avoir ces cinq personnes à mes côtés. Ils m’impressionnent à chaque représentation.
Vous êtes directeur d’un théâtre en région parisienne. Avez-vous un autre regard sur les spectacles que vous voyez ?
Charles Templon : Mon regard diffère quand je vais voir un spectacle dans l’optique de le programmer ou de rencontrer l’équipe avec laquelle nous pourrions potentiellement travailler par la suite. Forcément les enjeux de logistique et l’aspect financier entrent en compte.
J’essaie d’aller voir des spectacles très différents car la programmation est pluridisciplinaire et je ne m’en lasse jamais.
Mon goût et mon exigence n’ont pas changé depuis l’ouverture du Majestic-scène de Montereau.
Ce type de spectacle engagé fait-il partie de la ligne artistique de ta programmation ?
Charles Templon : Dès que nous sommes entrés en création, j’ai du me poser la question, de la jauge de cette salle (750 places) et de l’intimité du récit. La Scène de Montereau n’a que trois saisons derrière elle, mais dès la première année nous avons proposé au public un spectacle sur le droit à l’avortement, une pièce sur la fabrique de l’information et l’envers du décor en politique, une autre sur l’inclusion, une autre sur les attentats du 13 novembre. Exit s’y inscrit donc naturellement. Nous avons des élus très ouverts, curieux et intelligents qui n’ont pas besoin d’être rassurés en cédant au « tout comédie ». La programmation est concernée par notre époque, tout en étant festive et tournée vers le jeune public.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Exit d’après le documentaire de Fernand Melgar
présenté en juillet 2024 au Théâtre du Train Bleu dans le cadre du Festival Off Avignon
Durée 1h15
Reprise
5 au 23 novembre 2024 au Théâtre 14
Mise en scène Charles Templon assisté d’Alexandre Paradis
Avec Philippe Awat, Lucie Gallo, Marie-Sohna Condé, Nanou Garcia et Benjamin Gauthier
Adaptation Karine Dubernet et Benjamin Gauthier, d’après le documentaire de Fernand Melgar
Lumières de Loris Gemignani
Régie Générale – Thomas Guiral
Costumes d’Alma Bousquet et Charles Templon
Son de Camille Vitté
Scénographie de Charles Templon, Caroline Decroix et Camille Perrotin
Construction d’Atelier Omnicolore