"Cécile" de Marion Duval © Mathilda Olmi
© Mathilda Olmi

Cécile de Marion Duval, folie des grandeurs

À l'affiche du théâtre de la Bastille dans le cadre du Festival d'Automne, le seul-en-scène mené par la révélation Cécile Laporte frappe aussi fort politiquement qu'esthétiquement.

Il est des rencontres qui devaient se faire, des rencontres providentielles : c’est ce que semble indiquer le mariage pourtant improbable de Cécile Laporte, clown d’hôpital, voyante illuminée et militante compulsive, et du plateau de théâtre contemporain. Au début de la pièce, le prénom de celle-ci apparaît en grandes lettres blanches, citation exacte du logo de la marque de luxe Celine, référence pour le moins ironique au vu du déballage anar qui s’ensuit à mesure que la trentenaire nous raconte ses mille vies, où un épisode de libération sexuelle à Notre-Dame-des-Landes le dispute à un trip spiritualiste au Mexique.

Cécile est de ces personnages que l’on ne croise que quelques fois dans une vie, une grande silhouette pour un destin démesuré. Sur scène, il n’y a (presque) qu’elle, et c’est assez pour remplir l’espace jusqu’en haut des gradins. C’est pour cela que la metteuse en scène suisse Marion Duval lui a offert ces trois heures de spectacle. Si la pièce qui porte son nom s’articule, en surface, au gré d’un chapitrage méthodique, égrenant les anecdotes les unes après les autres, c’est un bordel intégral, du théâtre en roue libre qui se déploie dedans.

Mais Cécile n’est pas un défouloir pour autant. C’est même un spectacle d’une complexité rare, qui tord sur elle-même la sensibilité « babos » dont retourne nombre de ces récits, assumant un positionnement militant à l’extrême-gauche mais ménageant aussi l’autocritique, par exemple, du privilège blanc en jeu dans un trip spirituel au Mexique. Compliquée aussi cette façon de jeter le doute, la durée et un passage musical à l’hôpital psychiatrique aidant, sur la santé psychologique de la comédienne au plateau. L’épuisement tire l’œuvre vers le terrain performatif, mais cet effritement des barrières conventionnelles du théâtre fait surtout éprouver directement au spectateur une question éthique et esthétique qui dépasse son actrice : faut-il être absolument sain pour pouvoir monter sur scène ? L’histoire a donné des exemples, mais il faut parfois la refaire.

Alors Cécile, fait historique ? Il faudrait en tout cas prendre acte du grand projet qui s’y opère. Cette façon de ne pas se laisser avoir par son sujet, cette propension qu’a Cécile Laporte, dans ses récits, à ne pas être complètement dupe de sa propre grandeur remettent sa quête personnelle de liberté à l’endroit du théâtre, mais du théâtre pris dans son sens grec, comme lieu commun de questionnement et de friction. Voilà qui finit de faire de ce tour de piste, au-delà d’une pièce engagée, un grand morceau de théâtre politique.


Cécile de Marion Duval
présenté à Avignon en 2023 dans le cadre de la Séléction suisse au Festival OFF Avignon
Festival d’Automne
Théâtre de la Bastille
76 Rue de la Roquette, 75011 Paris
Du 9 au 19 octobre 2024
Durée 3h env
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Performance Cécile Laporte
Mise en scène Marion Duval
Conception Marion Duval et Luca Depietri (KKuK)
Dramaturgie Adina Secretan
Collaboration artistique, chant, jeu et régie plateau Louis Bonard
Costumes et marionnettes Severine Besson
Son et musique Olivier Gabus
Scénographie et lumières Florian Leduc
Sculpture et dessin Djonam Saltani, Iommy Sanchez
Vidéo Diane Blondeau
Jeu et régie plateau (en alternance) Louis Bonard, Diane Blondeau, Marion Duval, Maxime Gorbatchevsky, Sophie Lebrun, Papi
Régie lumière Vicky Althaus
Animation 3D Iommy Sanchez, Lauren Sanchez Calero

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