Impasse de Johan Inger © Agathe Poupeney
Impasse de Johan Inger © Agathe Poupeney

Ballet de l’Opéra de Paris : la rigueur de Forsythe, la douce folie d’Inger

Pour son programme d’ouverture, l’emblématique institution parisienne compose une soirée de haut vol tout en contraste et éclectisme, faisant la part belle à l’excellence et à la virtuosité de son corps de ballet. 

Le rideau se lève. Du fond de la scène, une enfant foule les planches. Elle est noire et elle rayonne. c’est tout un symbole, quand on sait qu’il a fallu attendre 2023 pour que Guillaume Diop devienne le premier danseur étoile afrodescendant de l’histoire de l’institution. C’est donc un message d’inclusion qui ouvre le traditionnel Défilé du Ballet, réunissant sur scène tout le corps de danseurs, du Coryphée aux quadrilles, en passant par les premiers danseurs, les élèves de l’École de Danse, le Junior Ballet (créé cette année) et, bien évidemment, les étoiles.

Word for Word  de My’Kal Stromile © Agathe Poupeney
Word for Word de My’Kal Stromile © Agathe Poupeney

Après un court entracte, il est temps d’entrer dans le vif du sujet et de découvrir les créations qui composent ce programme d’ouverture. De l’écriture exigeante de Forsythe à l’imaginaire baroque d’Inger, cette soirée laisse entrevoir les lignes artistiques que compte défendre José Martinez au sein de l’institution parisienne. Ainsi, le très classique Paquita de Pierre Lacotte ou l’éternelle Belle au bois dormant de Noureev s’affichent aux côtés d’une nouvelle création de l’énergique Hofesh Schechter et d’un programme alléchant où le style de Sharon Eyal entre en discussion avec celui de Mats Eks. 

N’allons pas trop vite en besogne. La soirée commence par une surprise, une création d’une vingtaine de minutes signée My’Kal Stromile. Après avoir fréquenté entre 2014 et 2018 la prestigieuse Juilliard Schoool, c’est auprès notamment de Forsythe qu’il a fait ses armes en tant que danseur. Son style en est imprégné. S’appuyant sur la musique acérée de Jerome Beguin dont les ratés et les retours en arrière dessinent une partition en dérapage contrôlé, il déploie une écriture qui se nourrit autant du postmoderne que du contemporain, en lorgnant sur le hip hop. Porté par un quintet virtuose et dominé par l’impressionnant Guillaume Diop, ce Word for word emballe un auditoire conquis.

Rearray de William Forthyse © ann Ray
Rearray de William Forsythe © ann Ray

Placée sous le signe du chorégraphe américain, la soirée se poursuit avec deux de ses pièces courtes :  Rearray, duo créé en 2011 pour Sylvie Guillem et Nicolas Le Riche, devenu trio dans la réinterprétation qu’en fait le ballet pour son entrée au répertoire, et Black Works I, pièce de groupe, composée de sept tableaux que sublime la voix envoûtante de James Blake. 

Au centre du plateau, Roxane Stojanov joue avec les équilibres et les lignes de fuite. Bientôt rejointe par Takeru Coste et Loup Marcault-Derouard pour un triangle amoureux presque plus cérébral que charnel, elle sculpte l’espace, se l’approprie. Les gestes ciselés, précis, les mouvements des bras, souples, véloces, semblant se démultiplier à la manière de battements d’ailes, captivent. Classique réinventé ou reconstruit, Forsythe n’a pas son pareil pour donner l’illusion de l’épure et de la simplicité. Portés par une musique aux notes très jazz, les trois interprètes de Rearray emportent les spectateurs sur le rivage d’une Cythère d’aujourd’hui. 

Se déployant telle une fresque d’où jaillit la vie à chaque soubresaut, chaque respiration, chaque mouvement, Black Works I compose une sorte de comédie musicale qui lorgne autant sur West Side Story que sur Chantons sous la pluie. Duos, trios, danses de groupe s’enchaînent avec virtuosité. Moins astringente que Rearray, qui se concentre sur des jeux de corps entre attraction, fusion et répulsion, cette œuvre créée en 2016 pour le Ballet de l’Opéra de Paris, délie une grammaire tout en classicisme et rondeur. Plus accessible, plus géométrique, elle séduit autant par sa dimension joyeuse que par la générosité des gestes qu’y s’en dégage. 

Impasse de Johan Inger © Agathe Poupeney
Impasse de Johan Inger © Agathe Poupeney

Autre style, autre regard sur le monde, le très inventif suédois, Johan Inger, transmet à la compagnie, Impasse, œuvre pour vingt-cinq danseurs créée en février 2020 au Zuiderstrandtheater de La Haye. Conjuguant habilement grammaire chorégraphique et théâtralité, il invite à plonger dans une humanité bouillonnante en quête de repères et de nouveaux idéaux. Dans un décor noir, la silhouette stylisée d’une maison se dessine en fond de scène. Une jeune fille s’en extrait. Image bucolique se référant au Monde de Christina, œuvre d’Andrew Wyeth peinte en 1948, elle évoque l’insouciance et la joie de vivre. Deux prétendants s’invitent dans la danse. 

La romance perd pied quand un groupe de six intrus vêtus de noir, tels des corbeaux de mauvais augure ou des pères-la-morale, vient interrompre leurs jeux candides. Résistant au début, rêvant de garder leurs individualité, les trois amants finissent par entrer dans la norme. Leur monde s’étrique. La maison rapetisse. Tout droit sortie d’un tableau d’Ensor, une nouvelle bande de joyeux drilles vient à nouveau perturber ce joli monde trop conforme. La fête s’insinue dans tous les gestes, tous les mouvements.

La folie s’empare du plateau. Rien ne semble pouvoir arrêter ce tourbillon, même le rideau qui descend imperceptiblement pour les enfermer dans une nuit sans fin et sans repos. Trouvant la force de s’en extraire, nos trois amoureux se retrouvent à nouveau seuls. La maison a encore rétréci. L’innocence est à jamais perdue. Sans illusions, ils sont dans une Impasse. Puissante parabole du monde actuel, l’œuvre d’Inger, toute en énergie et fièvre, clôture en beauté un programme tout tranchant, tout flamme. 


Programme William Forsythe – Johan Inger
Palais Garnier
Opéra de Paris
Place de l’Opér
a
du 3 octobre au 4 novembre 2024

Word for Word de My’Kal Stromile
Création présentée uniquement les 30 septembre, 4, 9 et 10 octobre à 19h30
durée 12 min
Musique de Jerome Begin
Costumes de Chanel
assistant chorégraphique – Noah Gelber

Avec Valentine Colasante, Hannah O’Neill, Guillaume Diop, Jack Gasztowtt et Ruben Simon

Rearray de William Forsythe
duo créé par Sylvie Guillem et Nicolas Le Riche pour le Sadler’s Wells à Londres en 2011, entre au répertoire dans une version revisitée pour les danseurs du Ballet
Durée18 min
Scénographie de William Forsythe
Musique de David Morrow
assistants du chorégraphes – Ayman Harper et Stefanie Arndt 
Costumes de Dorothee Merg
Lumières de Tanja Rühle
avec Roxane Stojanov, Takeru Coste et Loup Marcault-Derouard

Black works I de William Forsythe
durée30 min
Musique de James Blake
Lumières de Tanja Rühle
Costumes de Dorothee Merg
avec 21 danseurs (en alternance) du Ballet de l’Opéra de Paris – Léonore Baulac, Germain Louvet, Hugo Marchand, Paul MarqueDanseur (en alternance), Inès McIntosh, Silvia Saint-Martin, Pablo Legasa, Florent Melac, Jérémy-Loup Quer, Alice Catonnet, Naïs Duboscq, Hohyun Kang, Emilie Hasboun, Laure-Adélaïde Boucaud, Jennifer Visocchi, Adèle Belem, Lisa Gaillard-Bortolotti, Claire Teisseyre, Sarah BarthezDanseuse, Anastasia Gallon, Margaux Gaudy-Talazac, Seojun Yoon, Milo Avêque, Nathan Bisson, Axel Ibot, Cyril Mitilian, Enzo Saugar & Hugo Vigliotti

Impasse de Johan Inger
Durée 30 min
musique d’Ibrahim Maalouf et Amos Ben-Tal
Scénographie de Johan Inger
Costumes de Bregje van Balen
Lumières de Tom Visser
Vidéo d’Annie Tådne

Avec 23 danseurs (en alternance) du Ballet de l’Opéra de Paris – Marc Moreau , Antoine Kirscher , Francesco Mura, Letizia Galloni, Clémence Gross, Caroline Osmont, Nine Seropian, Lydie Vareilhes, Ida Viikinkoski, Victoire Anquetil, Laurène Levy, Apolline Anquetil, Lucie Devignes, Lillian Di Piazza, Marion Gautier de Charnacé, Charlotte Ranson, Sofia Rosolini, Alexandre Boccara, Fabien Revillion, Andrea Sarri, Daniel Stokes, Nikolaus Tudorin, Mathieu Contat, Yvon Demol, Théo Ghilbert, Marius Rubio, Maxime Thomas, Max Darlington 


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