Cheveux courts blonds méchés, sourire lumineux et joie communicative, Anna Fournier est dans la vie « cool ». Elle ne se prend pas la tête. Loin de la rigide ex-chancelière allemande, dont elle esquisse le portrait dans son spectacle Guten Tag, Madame Merkel, c’est une jeune femme extravertie et lumineuse qui attend devant le Café Français à Bastille. Veste de supportrice de foot aux couleurs de l’Allemagne, elle s’amuse à déjouer les codes et refuse d’être enfermée dans une case.
De nature énergique, elle croque à pleines dents l’existence et mesure à tous les instants le bonheur de son métier. « Depuis toute petite, explique-t-elle, j’ai un rapport à la représentation sociale qui passe par le clown et le rire. Ado, je suis passée par la case club de théâtre au collège, puis au lycée. J’ai eu la chance d’avoir une prof absolument géniale qui m’a permis de découvrir mon goût pour le spectacle et le jeu. Elle m’a ouvert plein de portes dont je n’aurais jamais imaginé l’existence ou du moins que je n’aurais, a priori pas empruntées. »
De la fac d’Histoire au Conservatoire
Bouillonnante, anxieuse, Anna Fournier ne tient pas en place. Des idées, elle en a plein. Le théâtre lui permet de canaliser toute cette surdose de vitalité. « Plus jeune, j’étais d’un caractère assez inquiet. Si j’aimais intensément être sur les planches, j’avais peur de me lancer dans cette carrière. De ce fait, je me suis inscrite à la fac d’histoire, avec l’idée de passer le Capes pour devenir prof. Une voie qui avait surtout l’avantage de rassurer mes parents. Un soir, alors que j’étais en master, j’ai fait une crise d’angoisse. J’ai craint d’étouffer si je continuais à faire des choix qui ne me correspondaient pas vraiment. » Dans la foulée, elle prévient sa famille qu’elle va intégrer les Cours Florent à Paris. « Mes parents m’ont donné deux ans. Si au bout de ce délai, j’étais dans une impasse, je devais revenir à Brest pour finir mes études. »
La comédienne doit donc rapidement faire ses preuves. « Cela m’a mis un sacré coup de pression, d’autant que financièrement c’était un peu raide. » En moins de deux ans, et après avoir suivi les cours de Bruno Blairet qui lui ont appris à ne pas avoir peur des grands textes du répertoire, elle entre au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris. « J’ai eu une chance incroyable, s’étonne-t-elle. J’ai toujours eu l’impression d’être entrée dans ce métier par effraction. Certes, ma mère a une vocation d’artiste, elle peint et fait de la mosaïque, mais je viens d’une famille de commerçants où tout est plutôt carré. Il y avait peu de place pour la fantaisie. »
Ses débuts avec le Birgit Ensemble
Assez rapidement, elle fait la connaissance au Conservatoire de Julie Bertin et de Jade Herbulot qui vont avec cette promotion créer leur collectif. Le Birgit Ensemble en est à ses balbutiements. Elle intègre la compagnie et fait notamment partie du spectacle que les deux artistes ont imaginé pour la sortie de la promotion du Conservatoire, Berliner Mauer : Vestiges. C’est le début d’une belle aventure. « Le travail de Julie et de Jade a beaucoup plu, raconte-t-elle. Jean Bellorini, alors directeur du TGP, l’achète pour la saison suivante. Cela a eu un effet boule de neige et m’a permis de faire beaucoup de nouvelles rencontres. »
Le temps passe vite. Elle enchaîne les collaborations : de Pierre Guillois à Caroline Marcadé aux Tréteaux de France, en passant par Léo Cohen-Paperman, elle multiplie les expériences et se frotte à différents styles et esthétiques. « J’ai pas mal travaillé avec les gens de ma génération avec qui j’avais été en contact au Conservatoire ou qui m’ont connu par l’intermédiaire d’amis communs. Cela a été une telle chance qu’ils me fassent confiance. »
Travaillant à l’instinct et aux coups de foudre, Anna Fournier est une bosseuse, une acharnée. Son idole, c’est Olivia Coleman, qu’elle considère comme une actrice absolue. Si elle a porté les mots de Shakespeare et Tchekhov, dont elle apprécie l’exigence, elle aime la liberté qu’offre le théâtre contemporain. « Il y a quelques années, j’ai fait stage avec Igor Medjinsky, raconte-t-elle. Grâce à lui j’ai appris à mieux maîtriser mes émotions, et faire en sorte que mon corps les exprime. Le théâtre m’a permis de m’aimer telle que je suis, de prendre confiance en moi et d’utiliser mon corps comme un outil. »
Comédienne et citoyenne
Très engagée, Anna Fournier a besoin de porter au plateau des thématiques qui rejoignent ses combats. « J’ai du mal à être dans le divertissement pur, j’ai besoin que cela donne du sens. Je suis autant citoyenne et comédienne. C’est indissociable. Quand je ne me sens pas en phase avec un texte ou que je ne ressens aucune vibration, je préfère renoncer au projet qu’on me propose. » L’humour, la dérision ne lui font pas peur. « Dans Guten Tag, Madame Merkel, le sujet est avant tout politique même si l’humour est très présent. Je crois profondément comme le disait Shakespeare, que pour faire passer un message ou le faire entendre, il n’y a que le rire. »
C’est en 2017, que la comédienne s’approche d’Angela Merkel. Elle l’incarne à Avignon, dans le spectacle du Birgit Ensemble sur la crise de la dette grecque, Dans les Ruines d’Athènes. « Le personnage m’a fascinée. J’ai voulu en savoir plus sur elle. Comment une femme, une physicienne d’Allemagne de l’Est a pu devenir Chancelière et s’imposer dans un monde d’hommes. Je ne partage certes pas ses idées, mais son éthique et son rapport très sain au pouvoir politique ont quelque chose de quasi surréaliste dans nos sociétés contemporaines. »
Angela Merkel, une révélation
Attachant beaucoup d’importance à porter au plateau des questions citoyennes, la comédienne envisage assez vite de créer un seul-en-scène autour de cette femme politique qui à travers son parcours et ses convictions met au jour toutes les contradictions et les limites de nos démocraties. En croquant son portrait à la manière des guignols de l’info qui ont bercé son enfance, et sans jamais tomber dans l’hagiographie, Anna Fournier éclaire vingt ans de politique européenne et met à nu avec beaucoup d’humour les dérives de nos institutions.
Flegmatique, ayant géré à sa manière sa féminité, Angela Merkel est absolument détonante. Elle ne rentre pas dans les codes, ne réagit pas à l’émotion pure et se tient à distance d’une société qui vit en accéléré pour prendre le temps de la réflexion. « Bien qu’elle se soit retirée de la vie politique, elle continue à compter dans le paysage européen et international. Nombreuses de ses décisions bonnes ou mauvaises ont façonné le monde d’aujourd’hui. Elle a su tenir tête à Poutine, discuter d’égal à égal avec les Présidents américains, et a su imposer sa vision de la communauté européenne. Elle est unique en son genre. C’était un véritable chef d’État qui a toujours pris le temps d’écouter véritablement l’opinion de son peuple et qui a toujours eu à cœur d’en défendre les intérêts. Par ailleurs, c’est une des rares politiciennes qui a su assumer publiquement ses erreurs et faire en sorte de les réparer. Je pense que c’est lié à son côté protestant et à son enfance en Allemagne de l’Est. »
Du théâtre La Flèche à celui de la Pépinière
Venant du théâtre public, la comédienne rencontre le théâtre privé par le biais de ce spectacle. « Je n’aurais pu concrétiser ce projet sans l’aide et le soutien du Théâtre de la Flèche et de sa directrice Flavie Fontaine. Elle a lu mon texte, m’a fait confiance et m’a offert des conditions financières idéales pour un premier spectacle. Puis est venu le pari vertigineux d’une longue série comme me l’a proposée Caroline Verdu, la directrice du théâtre de la Pépinière. Ce changement de paradigme permet notamment à l’heure des coupes budgétaires d’aider la jeune création et de permettre à de nombreux spectacles d’exister. »
Alors que le spectacle poursuit son petit bonhomme de chemin, avec peut-être à la clé la possibilité d’être « Moliérisable », Anna Fournier est déjà sur l’écriture de son prochain spectacle. « Poursuivant mon questionnement des idéaux politiques, j’ai eu cette fois envie de m’intéresser au rapport qui existe entre être spectateur et acteur du monde. Ce qui m’intéresse tout particulièrement c’est d’essayer de comprendre d’où viennent les a priori sur l’autre et ce manque d’altérité qui existe aujourd’hui. J’ai envie de nourrir cette réflexion et continuer à interroger le monde, ses limites et ses problématiques. »
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Guten tag, Madame Merkel de et par Anna Fournier
Théâtre de la Pépinière
7 rue Louis le Grand
75002 Paris
À partir du 5 septembre 2024
Durée 1h20.
Présenté en 2022 au Théâtre du Train Bleu dans le cadre du Festival off Avignon
Assistanat à la mise en scène Marie Sambourg
Création son d’Antoine Reibre
Scénographie de Camille Duchemin
Costumière Camille Aït Allouache