En guise de bienvenue, quelques gouttes de pluie s’écrasent sur l’asphalte. Le gris des nuages est vite chassé par un bleu doux et clair, typique du ciel de Val de Loire. Devant le parvis du Théâtre Olympia, au niveau de la rue de Lucé, un chapiteau invite les petits à déguster gâteaux et jus de fruits. En contrebas, des tables ont été installées pour permettre aux spectateurs curieux de profiter de la clémente météo tourangelle. Sur la façade de verre, le nouveau logo du théâtre, un peu plus rond, s’affiche en grand. Derrière les vitres, le changement d’identité est encore plus visible. Le rose tirant sur le parme et le vert tendant vers le pin, couleurs dominantes de la plaquette de saison et des affiches, donnent au foyer des airs printaniers et festifs.
Dès que l’on pénètre dans le hall, le ton est donné. Ça fourmille dans tous les sens. Le bar bidule, café associatif, participatif et culturel dont la mission est de stimuler la créativité des enfants, propose aux petits comme aux grands des ateliers de maquillage et quelques jeux éducatifs. Ce n’est qu’une partie du programme concocté par Bérangère Vantusso pour lancer sa première saison à la direction du Théâtre Olympia. Loin de se cantonner à la seule présentation des spectacles à venir, la marionnettiste et metteuse en scène a imaginé tout un week-end de festivités.
Cap vers demain
« L’important, souligne l’artiste, est de montrer le pluralisme des formes qu’il sera possible de découvrir tout au long de l’année, de développer les imaginaires et de mettre l’accent sur le poétique, le merveilleux. L’hybridation des arts est au cœur de mon processus créatif, je voulais que cela transparaisse dans la ligne artistique que je souhaite défendre. Par ailleurs, il est essentiel que le théâtre soit un lieu d’accueil et d’ouverture où l’on peut voir des spectacles, pratiquer et échanger, notamment autour d’un verre. J’ai donc souhaité mettre l’accent sur une programmation jeunesse, sur des parcours d’artistes dont l’on pourra découvrir plusieurs œuvres au cours de la saison — Samuel Achache, Alice Laloy, etc. — , sur des collaborations larges avec les autres structures culturelles de la métropole et sur un temps fort dédié à la création contemporaine dans un pays d’Europe. Cette année, l’Italie est à l’honneur. L’idée n’étant pas de faire un festival, mais de présenter durant un peu plus de quinze jours, deux pièces d’un même artiste et d’aborder à travers d’autres médiums la création aujourd’hui dans le pays choisi. »
Baptisé « Équinoxe d’automne », ce moment de partage est l’occasion de découvrir les lieux, de salle de répétition à la cage de scène, mais aussi de prendre le pouls du projet à venir et de ses fondations. « C’est l’un des axes forts du projet, explique Florence Kremper, directrice adjointe du Théâtre Olympia. La programmation s’articule autour de quatre week-ends, qui correspondent en gros aux solstices et aux équinoxes qui rythment au cours de l’année les changements de saison. C’est aussi pour Bérangère une manière d’ancrer le théâtre dans le territoire, de l’ouvrir sur l’extérieur et de faire de ce lieu pas seulement un endroit où l’on voit des spectacles, mais aussi un lieu où l’on vit. Chaque temps fort a été pensé autour d’une œuvre artistique, Longueur d’ondes pour l’ouverture, la dernière création de Vanassay Khamphommala cet hiver, le WET au printemps et une programmation hors les murs pour l’été. »
Vous avez dit Kamishibaï ?
Pour commencer la journée, dans la salle de répétition située au deuxième étage du bâtiment, la scénographe Cerise Guyon propose de faire découvrir aux enfants mais aussi aux adultes le Kamishibaï, littéralement théâtre de papiers. Technique traditionnelle japonaise basée sur des images qui défilent dans un butaï (un théâtre en bois), elle permet au conteur d’illustrer son récit à travers une série de planches dessinées. Cet art séculaire, que Bérangère Vantusso a découvert lors d’un long séjour au Pays du soleil levant, sert de matière première à Longueur d’ondes, spectacle créé en 2018, qu’elle reprend à l’occasion de cette ouverture de saison.
Se basant sur le livre jeunesse Les Cinq Malfoutus de Beatrice Alemagna, Cerise Guyon convie par petit groupe, parents et enfants, à réaliser une planche présentant un des protagonistes de l’histoire. Armés de ciseaux, de tubes de colle et de papiers de toutes les couleurs, chacun s’attèle à donner corps à ces personnages maladroits autant que débonnaires. Ludique autant que studieux, l’atelier fait carton plein.
Du papier à la scène
Affichant le désir de mettre en avant non seulement les écritures contemporaines mais aussi la littérature pour la jeunesse, la nouvelle directrice des lieux a souhaité émailler ce premier week-end de lectures jouées, l’une destinée à présenter son complice dramaturge de longue date, Nicolas Doutey, l’autre afin de dévoiler les cinq comédiens et comédiennes qui constituent la Jeune troupe du théâtre.
Texte inédit pour l’un, livres jeunesses pour les autres, les différents récits qui se tissent au plateau donnent à voir une humanité en quête de lien. Bien que les chemins soient tortueux — défiance envers l’étranger, difficulté d’aller vers l’autre — la curiosité, la bienveillance et le désir de contact finissent toujours par l’emporter. Tout n’est donc pas fichu ni pourri, une lueur d’espoir persiste au cœur de nos sociétés en plein repli sur elles-mêmes.
Radio libre et lutte sociale
Il est temps de rejoindre la salle Bernard-Marie Koltès, où la nouvelle directrice présente Longeur d’ondes, une pièce qu’elle a créée en 2018 au Théâtre de Sartrouville. S’inspirant du documentaire radiophonique réalisé par Pierre Barron, Raphaël Mouterde & Frédéric Rouziès, Un Morceau de chiffon rouge, Bérangère Vantusso, à la mise en scène, et Paul Cox, à la mise en image, remontent le temps jusqu’au 17 mars 1979, date à laquelle l’une des premières et plus célèbres radios libres a vu le jour. On est à Longwy, en plein cœur du bassin sidérurgique français. La crise du secteur entraine la fermeture de nombreuses usines. Afin d’enrayer le risque de licenciements massifs et d’informer largement les citoyens sur la situation, la CGT donne carte blanche à deux journalistes, Marcel Trillat et Jacques Dupont, de monter une radio pirate, « Lorraine Cœur d’Acier ». La singularité de ce média illégal, qui a quelque peu fait tiquer la direction du syndicat, est d’ouvrir la parole à tous, à la seule exception de l’extrême- droite.
Durant un peu plus d’un an, quelques heures par jour, la radio, installée dans le hall d’entrée de la mairie de Longwy-Haut, émet du sommet du clocher de l’église voisine. Entremêlant sujets de société, luttes sociales et difficultés du quotidien, cette nouvelle forme de média remporte un grand succès qui dépasse largement le cadre local. S’appuyant sur l’art du Kamishibaï, les deux artistes tissent le récit passionnant d’une aventure humaine hors norme et donnent vie à travers une série de planches sérigraphiées que manipulent avec dextérité les deux comédiens et narrateurs de l’histoire, Hugues De La Salle et Laura Fedida.
Recréant peu ou prou l’ambiance de l’époque entre studio de bric et de broc, extraits sonores originaux et patchwork d’images hyper-colorées, Longueur d’ondes touche juste et résonne étrangement avec l’actualité. Alors que la défiance envers les médias n’a jamais été aussi forte, le manque de pluralisme éditorial de plus en plus criant, l’engagement intègre et journalistique de cette radio pionnière secoue nos consciences et nous rappelle l’importance de l’éthique. Bravo !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Tours
Équinoxe d’Automne
Théâtre Olympia
7 rue de Lucé
37000 Tours
Du 6 au 8 septembre 2024
Longueur d’ondes, Inspiré d’Un morceau de chiffon rouge, un documentaire radiophonique réalisé par Pierre Barron, Raphaël Mouterde & Frédéric Rouziès, édité par La Vie Ouvrière éditions, 2012
spectacle créé le 15 janvier 2018 au Théâtre de Sartrouville, CDN des Yvelines
Tournée
8 et 9 octobre 2024 à L’Hectare – Territoires vendômois Centre national de la Marionnette, en décentralisation à Villeporcher et à La Ville-aux-Clercs
Mise en images de Paul Cox
Mise en scène de Bérangère Vantusso
Avec Hugues De La Salle et Laura Fedida
Collaboration artistique – Guillaume Gilliet
Scénographie de Cerise Guyon
Lumière de Jean-Yves Courcoux
Son de Mélanie Péclat
Costumes de Sara Bartesaghi-Gallo
Régie générale et son – Thomas Clément