Skinless de Théo Mercier © Erwan Fichou
© Erwan Fichou
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Skinless de Théo Mercier, dans l’œil du cyclone

Programmé dans le cadre du festival Actoral à Marseille, le plasticien Théo Mercier imagine avec Skinless une fable au milieu des déchets, quelque part entre le post-appocalyptique et la quête de soi.

Depuis des piles de cannettes écrasées et de cartons broyés deux imaginaires se disputent l’attention du public. Ces esthétiques en chaud-froid sont le terrain d’une performance où la rupture est une constante, de la partition musicale de Pierre Desprats à la création lumière de Florent Jacob, François Boulet et Théo Mercier, lui-même.

Skinless de Théo Mercier © Erwan Fichou
© Erwan Fichou

Depuis de grands cubes de déchets, un être de métal se contorsionne et fait teinter les capsules de cannettes, accrochées à ses chaussures. L’objet de sa curiosité ? On le découvre alors qu’il fait volte face. Sur un large plateau de cartons de la taille d’un ring de boxe, on devine deux corps.

Se faufilant parmi les encombrants, tous deux vont sortir de l’espace et progressivement le reconfigurer. Bientôt, les silhouettes prennent conscience d’elles-mêmes, de leur propre peau, de leur environnement et chacune regarde cet alter ego, comme un miroir. La tendresse s’esquisse pas à pas, empêchée sans cesse par le regard inquisiteur et les danses frénétiques de cet être de métal. Lui se tient fièrement sur ces murailles de fer depuis lesquelles il surveille le tout. L’action s’écrit en pointillé. Et la lassitude face à la répétition de ces scènes d’élans amoureux s’avère sans doute importante pour comprendre Skinless.

Quelque part entre l’humain et l’encombrant, le trivial et le symbole, l’anecdotique et l’universel, Théo Mercier crée une fable dont la plastique dégenre, dérange, déroge aux attentes. Là où il semble impossible de s’abstraire de la prégnance du regard de cet être de métal, on oublie bien vite que la présence du public relève elle-même d’une forme de voyeurisme. Au milieu de ce décor mastoc, le public se fraye un chemin. Le public entoure la scène qui elle-même entoure le public. Dans l’assemblée, on se tourne, on se penche, on s’observe.

Dans la foule, on lit un mélange de fascination, de malaise, d’ennui, de circonspection. Les traces de cette expérience transhumaniste n’apparaissent pas toujours à la lumière des projecteurs. Sans doute garde-t-on quelque chose de cette expérience incommodante qu’on emporte chez soi.

Skinless de Théo Mercier © Erwan Fichou
© Erwan Fichou

Avec Skinless, Théo Mercier pense une performance où la métaphore bien sentie est de toutes les lèvres. Une performance qui peut à la fois laisser le public en dehors, complice dans son rejet, ou dans une hypervigilance aux autres, guettant la moindre réaction, l’attitude à adopter face à un spectacle inédit.

Certaines créations exposent la critique. De l’œuvre cryptique à la coquille vide, la course à l’abstraction trouve un écho immédiat chez les journalistes qui y voient aussi bien un casse-tête à résoudre qu’un cadre dans lequel faire la démonstration de leur éloquence. Face à l’incompréhensible, on hoche la tête d’un air entendu comme s’il en allait de sa respectabilité professionnelle. Le regard plissé, un pouce contre le menton, l’air presque soucieux, le critique tente en vain de trouver dans la consternation ambiante sa position de sachant. Quelque part entre le médiateur et le medium. 

Ces mêmes œuvres pourraient pourtant inciter à l’humilité et inviter le critique à prendre conscience que chaque article en dit souvent davantage sur celui qui l’écrit que sur son objet. Après avoir listé toutes les interprétations possible, sûrement pourrait-on conclure qu’on ne sait pas. Qu’on ne peut pas vraiment savoir, voire que ça n’a pas d’importance. Dans cette course à la distinction sociale où chacun discerne dans l’abstraction le moyen de se forger une crédibilité, on ne sait qui de la création ou du public est le spectacle. Par son mutisme, Skinless pose ces enjeux. Mais c’est par la disposition en cercle de son public qu’il les matérialise. En nous confrontant à l’étrangeté de son monde, Théo Mercier envoie promener nos certitudes. À commencer par celle d’être à même d’en faire la critique.


Skinless de Théo Mercier
Création les 13 et 14 mars 2024 au Quartz, scène nationale de Brest
Festival Actoral
Théâtre des Calanques
35 traverse de Carthage
13008 Marseille
jusqu’au 25 septembre 2024
Durée 1h

Reprise
21 novembre au 8 décembre 2024 à La Villette, Paris, France dans le cadre du Festival d’Automne à Paris

Tournée
3 au 10 octobre 2024 au théâtre de Vidy-Lausanne, Suisse
13 et 14 mars 2025 au Volcan, scène nationale du Havre, France dans le cadre du Festival Déviations
2 et 4 avril 2025 aux Subs, Lyon, France dans le cadre de Transforme / Fondation d’Entreprise Hermès

Conception et mise en scène de Théo Mercier
Scénographie de Théo Mercier, Florent Jacob, François Boulet
Collaboration artistique et dramaturgique – Florent Jacob
Collaboration artistique et chorégraphique – Anna Chirescu
Interprété et créé en collaboration avec Bruno Senune, Maxime Thébault, Aurélien Vieillard
Composition sonore Pierre Desprats
Création lumière de Florent Jacob, Théo Mercier, François Boulet
Costumes de Théo Mercier, Colombe Lauriot Prevost
Accessoires – Étienne Marc
Régie générale – François Boulet, Sara Ruiz Marmolejo

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