Dès le début, l’héroïne n’a pas de prénom. Elle sera « Elle ». Une figure de style très durassienne. C’est la première chose qui saisit à la lecture de ce magnifique ouvrage, dont le titre, Oser sortir et crier, est inspiré par cette phrase d’Écrire de Duras : « Un prix à payer pour avoir osé sortir et crier ». Après avoir écrit son histoire sur 224 pages très addictives à la lecture, Elle peut se permettre de dire : « Un jour, elle ne s’appellera plus elle. Elle retrouvera un prénom. Choisi, inventé ».
Le #Meetoo a délivré les maux
Ce « Elle » est loin d’être anodin. Il marque bien la distance que peut mettre une jeune femme avec son « moi », totalement détruit. Une déstructuration venue de son enfance à cause du frère du milieu, celui « qui fut si malade » et d’un secret qu’il faut bien garder pour ne pas nuire à la famille. Alors, cette petite fille du Sud-Ouest à l’accent très prononcé, mais au visage si angélique, va grandir avec cette boule au cœur, qui fait d’elle un être différent. Elle ne sera jamais comme eux. La littérature et la découverte du théâtre vont être ses premières portes de sortie. À dix-huit ans, enfin majeure, elle va pouvoir s’extraire. Une amie lui conseil de lire Duras, Agatha, et c’est la révélation. « Agatha, c’est elle ».
La douleur, si forte
Fabienne Périneau déroule deux fils qui vont tisser la très belle trame de son histoire. Toujours à la manière de Duras, ce livre est inspiré de sa propre vie à laquelle elle a injecté ce fameux « mentir-vrai » et une certaine distanciation. Exactement ce qu’a fait la grande Marguerite dans Agatha, et dans presque toutes ces œuvres.
Comment se construire quand la famille refuse d’entendre son cri ! Que faire, ensuite, lorsque l’amour surgit ? Même avec l’être le plus charmant, il est difficile de conjuguer le verbe aimer. D’errance en errance, avec une belle pudeur, celle des écorchés, elle raconte sa lente reconstruction. Le théâtre en aura été un pan et Agatha l’édifice. C’est le second fil. La jeune comédienne, si belle, va être la première à obtenir les droits de Duras. Elle raconte alors comment cela s’est passé, comment cette pièce, qu’elle interprète d’abord avec Vincent G., puis avec le beau Samuel L., sera son grand succès. N’oublions pas, elle est Agatha ! Alors, elle jouera souvent ce spectacle, sur de longues années, y revenant sans cesse. Pour l’avoir vu lors une énième reprise, en 2001 à l’Espace Kiron, avec le regretté Pierre Motet, elle y était sublime.
Tout le pouvoir de la littérature
Les mots ne suffisent pas toujours à panser les maux. Un jour, elle renie Duras et son Agatha. Elle la vomit même. Duras sublimerait-elle l’inceste ? ! Avec la patine du temps et grâce à son adorable voisin, elle finit par comprendre les fameux silences de Marguerite, cette petite fille abusée par son frère. L’amour, qui frappait à sa porte, peut alors s’immiscer vraiment dans son cœur, son corps et son esprit.
Plonger dans l’univers de Fabienne Périneau, c’est découvrir, à travers des mots finement choisis, toute la complexité de la société mais aussi de la famille lorsqu’elles se retrouvent devant l’innommable. C’est comprendre ce mal-être accroché à cet état de fait, car le viol détruit au plus profond. Et puis, il y a ce regard sur le monde du théâtre, sur la manière dont on l’apprend, on l’approfondit et on en vit. C’est si justement bien exprimé. Qu’il soit plus ou moins abîmé, l’artiste se bâtit du bois dont il est fait. C’est bouleversant.
Marie-Céline Nivière
Oser sortir et crier de Fabienne Périneau
Éditions Récamier
Paru le 22 août 2024
Format 140 x 205
Prix 20 €