Guy Zilberstein et Anne Kessler n’en sont pas à leur première collaboration. Leur œuvre commune compte déjà Les Créanciers, La Ronde, Coupes sombres et Des fleurs pour Algernon. Pour Omar-Jo, son manège à lui, ils ont à nouveau réuni leur talent — elle à la mise en scène et lui au texte — pour aborder avec une belle adresse l’œuvre de la poétesse et romancière franco-syro-libanaise.
La réalité ou la fiction, qui dépasse l’autre ?
Ce n’est pas à proprement parler une adaptation du roman. Guy Zilberstein a imaginé que celui-ci serve de base au cinquième volet d’une série de podcasts, intitulés Les enfants de la guerre. Les épisodes précédents portaient sur les guerres du Vietnam, du Biafra, du Rwanda, de Tchétchénie, d’Ukraine… Pour cet ultime enregistrement, la réalisatrice a décidé d’évoquer celle du Liban. Jusqu’à présent, ses émissions partaient de récits réels. Mais pour cette guerre intestine qui a débuté en 1975, elle a choisi un roman. La question, alors, se pose : « Faut-il préférer une œuvre de fiction au récit des faits ? »
Les mots pour dire le monde
Entouré par l’amour de son père musulman d’Égypte et de sa mère chrétienne libanaise, Omar-Jo vivait heureux à Beyrouth. En 1987, un attentat lui a arraché son bras et a tué ses parents. Il a douze ans et son grand-père l’envoie en exil à Paris chez son oncle et sa tante. L’enfant y rencontre Maxime, un forain bougon qui tient un manège en perdition à Châtelet. Il décide de sauver son ami de la faillite. « Sur la piste, au milieu des chevaux et des enfants rieurs, il caracole, chante et danse comme son grand-père au village. Il veut vivre ! Et sous les doigts magiques de son unique main, tout se transforme en or. »
À travers ce conte magnifique, Andrée Chedid témoigne « à la fois sur l’innocence des enfants victimes de la guerre et sur leur infinie capacité à revivifier le monde ». C’est ce que l’auteur met en exergue pour expliquer pourquoi Adèle, la réalisatrice du podcast, l’a choisi. Plaçant ainsi, Omar-Jo, « enfant imaginaire », au même endroit que les autres, « ceux de la réalité ». L’auteur installe un procédé très efficace où les questionnements des protagonistes se mêlent à la lecture des passages du livre.
Une traversée émotionnelle
L’action prend place dans un studio d’enregistrement. Aux commandes, on trouve la douce Adèle, incarnée par l’exquise Claire de La Rüe du Can. À ses côtés, il y a Léon, l’ingénieur du son (épatant Dominique Parent) et Elvis, le comédien (formidable Baptiste Chabauty). On s’identifie très vite à ces personnages qui portent en chacun d’eux quelque chose de familier. Tout comme eux, nous sommes des enfants de la paix ! Dans une belle unité, ils font virevolter les réflexions et retentir à merveille les mots de la poétesse.
La mise en scène d’Anne Kessler est admirable en tous points : scénographie, direction d’acteur, utilisation de l’espace, des micros et du son. Tel un quatrième mur, un tulle est tendu sur le cadre de scène. Cela lui permet de projeter des images d’archives, dont le très bel entretien entre Mireille Dumas et ce bouleversant petit libanais. Gardant à l’esprit la dualité entre réel et fiction, elle projette également des photos et petits films réalisés avec l’aide de l’IA, d’Omar-Jo (magnifique Sacha Bouana-Thomas). Quand le noir final tombe, l’émotion dans la salle se fait entendre par un grand silence, ensuite brisé par une salve d’applaudissements !
Marie-Céline Nivière
Omar-Jo, son manège à lui de Guy Zilberstein, d’après L’Enfant multiple d’Andrée Chedid
Studio de la Comédie-Française
Galerie du Carrousel du Louvre
99 rue de Rivoli
75001 Paris
Du 21 septembre au 3 novembre 2024
Durée 1h.
Mise en scène d’Anne Kessler
avec Claire de La Rüe du Can, Dominique Parent, Baptiste Chabauty
Dramaturgie de Guy Zilberstein
Scénographie d’Anne Kessler et Guy Zilberstein
Costumes de Bernadette Villard
Lumières et vidéo d’Yves Angelo
Images photographiques de Pierre Achach
Assistanat à la scénographie Adèle Collé
Séquences filmées Sefa Yeboah et Sacha Bouana-Thomas.