Pourquoi reprendre à l’Hébertot votre spectacle sur la Révolution française ?
Maxime d’Aboville : Lors des représentations de Pauvre Bitos de Jean Anouilh, nous avons eu de nombreux retours de spectateurs qui, après avoir vu la pièce, disaient qu’ils souhaitaient mieux connaître la Révolution française. Comme on la reprenait, j’ai proposé au théâtre ce seul-en-scène que j’avais joué au Poche-Montparnasse, et ils ont accepté tout de suite.
Comment vous est venue l’idée de vous pencher sur l’histoire de France ?
Maxime d’Aboville : À mes débuts, je me suis retrouvé deux fois de suite à jouer des rôles historiques. Le rôle du prince de Condé dans la pièce de Daniel Colas Henri IV, le bien aimé, avec Jean-François Balmer, qui était une grande fresque magistrale au théâtre des Mathurins. Puis, j’ai joué Bonaparte à l’Hébertot, dans la pièce de Jean d’Ormesson, La Conversation. Étant du genre consciencieux, je me suis penché sur les périodes concernées. Faut l’avouer, j’étais nullissime en histoire ! Du coup, j’ai été acheter les Michelet qui venaient d’être réédités. Enfin, pas tous : il y a dix-neuf volumes ! J’ai trouvé qu’il y avait une langue sublime et une force d’évocation incroyable.
Dans laquelle vous avez vu une théâtralité…
Maxime d’Aboville : Celle-ci est même très puissante. Je me suis dit qu’à partir de ces textes, je pourrais finalement raconter l’Histoire de France sur scène. Que cela pouvait aussi intéresser les gens. Car je ne dois pas être le seul à être frustré de ne pas bien connaître l’Histoire de France. Et puis, cela allait aussi me forcer à apprendre et à faire un travail d’écriture.
Et vous avez commencé par ?
Maxime d’Aboville : La période où la France commence un peu à exister, c’est-à-dire à Hugues Capet. Mon premier spectacle portait sur le Moyen Âge, de l’an 1000 jusqu’à la fin de la guerre de Cent Ans, en 1450. Le deuxième allait de 1515, François Ier à Louis XIV, 1715. C’était un petit violon d’Ingres qui me nourrissait beaucoup aussi intellectuellement, littérairement. Car si je suis parti de Michelet, j’ai élargi mes recherches à toutes les grandes plumes du XIXᵉ, notamment Victor Hugo, Chateaubriand, Alexandre Dumas. L’idée était d’utiliser la grande matière romanesque, romantique du XIXᵉ. Le troisième volet devait porter sur la période qui allait de Louis XV à Napoléon, 1815. Je voulais clore l’aventure ainsi. Comme je me suis toujours astreint à faire cela en dehors du reste, pour que cela reste un plaisir, je ne trouvais pas le temps de l’écrire. Et le confinement est venu ! C’est ce qui m’a permis de l’écrire.
Pourquoi vous êtes-vous finalement concentré que sur la Révolution française ?
Maxime d’Aboville : Quand j’ai commencé à lire ce qu’avait écrit Michelet sur cette période, mais aussi ce qu’avait écrit Lamartine sur l’histoire des Girondins, j’ai compris qu’il fallait n’aborder que la Révolution. C’était trop puissant. Et tant pis si au niveau de l’amplitude historique, cela diffère des autres ! Je traite uniquement cinq années, qui vont de la prise de la Bastille en juillet 1789 à la mort de Robespierre en juillet 1794. C’est très court mais c’est très dense aussi. Les auteurs se sont lâchés dans un lyrisme extraordinaire sur cette période ! Ce qui donne à ce texte une puissance dramaturgique très forte.
Qui offre au comédien une belle matière à jouer…
Maxime d’Aboville : Exactement. Il y a un élan d’enthousiasme ! Quand Dumas parle de la prise de la Bastille, il en fait un événement titanesque ! Un événement grandiose où le personnage principal devient le peuple qui s’émancipe. Alors que l’on sait aujourd’hui, que la prise de la Bastille, en soi, ce n’était pas un événement plus extraordinaire que ça. Ce qui m’intéresse, c’est le mythe. En France, on s’est aussi construits en se racontant notre propre histoire. Cela a fonctionné ainsi surtout au XIXᵉ siècle : c’est un siècle qui s’est passionné pour l’histoire. Je ne suis pas un historien et je n’ai absolument pas la prétention de l’être. Ce qui m’intéresse, c’est comment la littérature s’est saisie de notre histoire pour faire des chefs-d’œuvre ! Je considère que le d’Artagnan d’Alexandre Dumas est plus important que le vrai d’Artagnan, parce qu’il nous appartient davantage. La prise de la Bastille telle qu’elle a été fantasmée me paraît plus intéressante que la vraie… Les historiens sont là pour ça ! Moi, je suis un homme de scène. Je suis là pour faire un spectacle, pour créer de l’élan, de l’enthousiasme, de l’émotion. Donc, c’est un autre travail. Si l’histoire n’était qu’une recherche scientifique, ça se saurait. L’histoire, c’est aussi un récit.
Dans votre travail, Michelet et les grands auteurs se mélangent, au point de n’y voir qu’un seul texte…
Maxime d’Aboville : Mon objectif était de trouver qui avait raconté ça de la manière la plus captivante. La mort de Louis XVI est un mix entre Victor Hugo, Quatrevingt-treize, et Alexandre Dumas, les romans qui forment Mémoires d’un Médecin. Victor Hugo, Michelet, Lamartine et Alexandre Dumas sont tous nés dans les années 1790. Ils se connaissaient très bien et se lisaient les uns les autres. Le grand frère, c’était Michelet. Le fait d’utiliser différents auteurs me permet aussi, tel un jeu d’angle de caméra, de mette des focus, avec différents champs, des plans larges et des gros plans. On ne voit pas les coutures car je voulais que la littérature transporte le spectateur sans qu’il se pose la question de savoir qui a écrit quoi. Je voulais simplement monter que la littérature est porteuse d’émotion.
D’autant que vous incarnez les textes avec une belle intensité…
Maxime d’Aboville : Incarner un récit c’est mettre en éveil l’imaginaire et les sens des spectateurs, celui de la vue, de l’ouïe, de l’odorat, etc. La vocation de ce spectacle est que, comme quand on lit un livre, les spectateurs se fassent leur propre film dans leur tête. En tout cas, j’essaie de provoquer cela. C’est aussi pour ça qu’il n’y a rien sur scène à part ce petit bonhomme qui essaie d’incarner une littérature sans la fausser. Que ce soit eux ou moi, on se fabrique des images.
Un texte que vous tenez seul dans une belle performance scénique…
Maxime d’Aboville : Quand on est seul, on est encore plus en partenariat avec le public. On dépend beaucoup de leur écoute. C’est sûr qu’il ne faut rien lâcher. L’acteur, lui, doit faire confiance au texte. Là, en l’occurrence, il y a vraiment des textes qui sont grandioses. Oui, c’est un challenge, mais s’abandonner aux textes, j’ai envie de dire que c’est le travail de l’acteur en général. Le metteur en scène Damien Bricoteaux m’a beaucoup aidé dans ce travail de confiance dans le texte, afin de toujours rester au service du sens, de ne pas se laisser écraser par le lyrisme.
Michel Bouquet, que Pauvre Bitos a révélé, est un comédien qui a beaucoup compté pour vous…
Maxime d’Aboville : Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, il n’a pas été mon professeur. Il est une figure qui m’a accompagné. J’ai découvert Michel Bouquet tout à fait par hasard, quand je faisais du théâtre en amateur. Je l’ai trouvé extraordinaire dans le film d’Anne Fontaine, Comment j’ai tué mon père. Je me suis renseigné sur lui et j’ai vu qu’il avait écrit un livre d’entretiens que j’ai dévoré. Comme tous les autres, car il y en a eu plusieurs ! Ces textes, j’ai fini par en connaître par cœur certains passages et j’ai même fini par en faire un spectacle. J’ai eu la chance énorme de le côtoyer à la fin de sa vie, avec sa femme Juliette. Il pensait toujours à contre-courant. C’est ça qui me plaisait aussi chez cet homme. Et puis, il avait ce rapport sacré au théâtre, qui est important. Je trouve que quand on est acteur, on sacrifie beaucoup à ce métier. Ce n’est pas sacerdotal, mais quand même ! S’il n’y a pas une dimension sacrée, une dimension de vocation, je pense qu’on peut s’écœurer vite de ce métier. Ma découverte de Bouquet, alors que je m’apprêtais à devenir avocat, m’a permis de trouver la force de me lancer dans le théâtre et d’en faire mon métier. Je pouvais courir ce risque car le jeu en valait la chandelle !
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
La Révolution française, spectacle de et par Maxime D’Aboville
Théâtre Hébertot
78 bis boulevard des Batignoles
75017 Paris
Du 28 septembre 2024 au 4 janvier 2025
Durée 1h15