À Biarritz, les soirs se suivent et ne se ressemblent en rien. Du néo-classique à la street dance, en passant par le cabaret ou le post moderne, seul l’éclectisme reste de mise. Afin de mettre en appétit les festivaliers, c’est à la Scène nationale du Sud-Aquitain que le Ballet de l’Opéra Grand Avignon, sous la direction de Christophe Garcia, fondateur de la compagnie La Parenthèse, qu’est donnée une visite dansée des Nuits d’été de Berlioz. L’œuvre de six mélodies est composée autour de poèmes de Théophile Gautier.
Balade désenchantée sur la Carte du Tendre
Au diapason de la météo, grise et pluvieuse, la pièce imaginée par le chorégraphe basé à Angers plonge dans un univers mélancolique où les amours sont contrariées et la mort est omniprésente. Entre sentiments de doute et espoir d’une nouvelle flamme à venir, les chants interprétés en direct par la mezzo-soprano, Anna Reinhold, entraînent les sept danseuses et danseurs dans une transe désabusée qu’éclairent des soubresauts de passion et d’ivresse de peaux frôlées, juste effleurées.
Courses effrénées pour rattraper l’autre, corps à corps masculin, fragile autant que viril, portés tourbillonnants, l’écriture au cordeau de Christophe Garcia prend appui pour quelques motifs sur l’œuvre de Michel Kélémenis et sur celle de Michel Fokine avant de s’en détacher pour donner chair aux sentiments, aux tourments qui traversent les différents personnages qui hantent ces Nuits d’été sombres et désenchantées. Entremêlant au plateau danseurs et musiciens, le chorégraphe conjugue les arts et invite les uns et les autres dans une même ronde. Le corps de ballet et l’orchestre de chambre ne font qu’un. Entre notes et gestes, tout roule, coule avec une fluidité.
Portée par Alexandre Tondolo et Nina Morgane, interprètes de longue date de La Parenthèse, la troupe de l’Opéra Grand Avignon suit le mouvement et se laisse embarquer dans ce bal des ombres où constamment, il faut réapprendre à vivre, à aimer. C’est dans la lumière chaude d’un coucher de soleil artificiel que les amants maudits pour une dernière fois s’étreignent. À chacun de réinventer de quoi demain est fait !
La danse, la danse, la danse
La soirée se poursuit à la Gare du midi de Biarritz. Autre salle, autre ambiance. Habitué des tubes qui remplissent les salles, le Collectif (La) Horde a la tête du Ballet national de Marseille propose en moins de deux heures une plongée dans l’histoire de la danse de ces cinquante dernières années.
Reprenant Concerto, pièce courte de Lucinda Childs, créée en 1993 sur une musique d’Henryk Górecki, Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel mettent la barre très haut et prouvent, s’il était nécessaire, les qualités virtuoses de leurs interprètes. S’emparant de cette œuvre post-moderne avec une belle dextérité, les danseuses et danseurs habitent le plateau de leurs gestes itératifs, de leurs mouvements décalés et de leurs pirouettes hypnotiques. Bien que courte, à peine une dizaine de minutes, la performance est d’une intensité telle qu’elle laisse le public exsangue d’entrée de jeu.
À peine le temps de reprendre son souffle, que des étranges créatures portant robes translucides, juste-au-corps noirs et chaussettes rouges envahissent l’espace. Imaginée spécialement pour le CCN de Marseille, One Of Four Periods In Time (Ellipsis) de la déjantée Tânia Carvalho oscille entre danse et théâtre. Tout comme la capverdienne Marlène Monteiro Freitas, l’artiste portugaise cultive l’art du burlesque et s’amuse à donner vie à des tableaux tous plus extravagants et loufoques les uns que les autres. Un impromptu qui a du répondant !
Œcuménisme et grand écart
Après un entracte d’une vingtaine de minutes, c’est dans l’univers du cabaret et du peep show, que l’une des emblématiques figures du voguing en France, la très « queer » Lasseindra Ninja embarque nos danseuses et danseurs. Académiques pailletés, robes roses tout droit sorties d’un magasin érotique, danses lascives et suggestives, sans aucune équivoque, transforment l’espace en une succursale du Crazy horse. Si l’on ressent parfaitement le plaisir des interprètes à se jeter à corps perdu dans cet univers porno pas si chic, ce Mood ne leur sied pas si bien et tourne un peu à vide.
À la manière d’un fondu enchaîné très cinématographique, dans un clair-obscur savamment étudié, les artistes se libèrent de leur combinaison et de leur harnais de vinyl pour retrouver leur innocence virginale. Vêtus de blanc, tels des apôtres d’un nouveau monde, ils se glissent dans la peau de gars patibulaires, de membres de groupuscules identitaires prêts à en découdre. Remixant le Miserere Mei – Deus D’Allegri, Oona Doherty donne à voir la rage et la fureur qui habitent la jeunesse irlandaise d’aujourd’hui. Esseulée et ne trouvant plus de schéma auquel elle se réfère, elle oscille entre croyance religieuse et sentiment d’injustice conduisant à la violence. Égratignant leur virilité mal placée, la jeune chorégraphe signe un uppercut dont le corps de ballet s’empare de l’un des extraits les plus percutants.
Afin de clôturer ce programme particulier dense et éclectique, (La) Horde choisit de reprendre l’un de ses tubes, un morceau choisi et pas des moindres, certainement le plus survitaminé, de Room with View. Corps malmenés, corps en transe, les danseurs et danseuses sont dans leur parfait élément dans ce précipité d’électro et de transe. Survoltés, montés sur ressorts, ils brûlent les planches. Véritable feu d’artifice de mouvements répétitifs, de gestes véloces, la partition est d’une efficacité redoutable. Magistral !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Biarritz
Le Temps d’aimer la danse
du 4 au 16 septembre 2024
Nuits d’été de Berlioz – Opéra Grand Avignon et Cie la Parenthèse-Christophe Garcia
Scène nationale du Sud-Aquitain
durée 1h
Mise en scène et chorégraphie : Christophe Garcia
Musique : Hector Berlioz ( Les Nuits d’été) – Laurier Rajotte ( Le septième poème)
Direction musicale – Nicolas Simon
Emprunts chorégraphiques à Michel Kelemenis avec son concours et son autorisation et à Michel Fokine
Adaptation musicale Julien Giraudet
Avec Mezzo-soprano : Anna Reinhold, Harpe : Vincent Buffin, Percussions : Tristan Pereira, Flûte : Coline Richard, Violon, alto : Antoine Paul, Violoncelle : Amélie Potier et Clarinette, clarinette basse : Elsa Loubaton
Avec Danseurs du Ballet de l’Opéra Grand Avignon et de la Parenthèse-Christophe Garcia : Sylvain Bouvier, Lucie-Mei Chuzel, Léo Khébizi, Nina Morgane Madelaine Kiryl Matantseau, Marion Moreul, Ari Soto
Danseurs additionnels sur la projection vidéo : Marion Baudinaud, José Meireles, Alexandre Tondolo
Assistante à la chorégraphie – Julie Compans avec l’aide de Marion Baudinaud, Jose Meireles, Alexandre Tondolo et Idir Chatar
Direction technique et son – Bruno Brevet
Costumes : Pascale Guéné
Costumes réalisés par les Ateliers de l’Opéra Grand Avignon
Lumières : Simon Rutten
Scénographie : François Villain
Scénographie réalisée par les Ateliers de l’Opéra de Rennes
Création olfactive : Julie C Fortier
Vidéo : Matthieu Dehoux
Soirée Childs – Carvalho – Lasseindra – Doherty avec le ballet national de Marseille
Conception- (La) Horde – Marine Brutti, Jonathan Debrouwer, Arthur Harel
La Gare du midi
Durée 1H50 avec entracte
Concerto
Chorégraphie et costumes de Lucinda Childs
Assistant chorégraphique – Jorge Perez Martinez
Musique d’Henryk Gorecki
Création lumières d’Éric Wurtz
One Of Four Periods In Time (Ellipsis)
Chorégraphie et costumes de Tânia Carvalho
Musique de Vasco Mendonça, interprétée par Drumming GP : Miquel Bernai, Pedro Oliveira, João Cunha & Rui Rodriguez
Lumières d’Éric Wurtz
Mood de Lasseindra Ninja
Musique : Maboko Na Ndouzou – Boddhi Satva (main mix) / So Blessed – Djeff Afrozilla (main mix) / Untitled – Vjuan Allure / Gunsong – Heavy K / Throb – Janet Jackson mixé par Gabber Eleganza
Costumes d’Érard Nellapin, Mugler par Casey CadWallader
Lumières d’Éric Wurtz
Lazarus
Chorégraphie et costumes d’Oona Doherty
Assistante chorégraphique – Sandrine Lescourant – Mufasa
Regard extérieur – Gabrielle Veyssière
Musique – Miserere Mei – Deus D’Allegri mixé par Oona Doherty
Lumière de Lisa Mary Barry en collaboration avec Eric Wurtz
Room with a view- Extrait
Chorégraphie de (La) Horde
Costumes de Salomé Poloudenny
Musique de Rone
Création lumièresd ’Éric Wurtz
Répétiteur.ice.s – Valentina Pace & Thierry Hauswald
Assistant artistique – Julien Ticot
Fabrication costumes – Nicole Murru & Sandra Pomponio
Régie lumière – Delia Dufils, Régie son – Fabien Minez, Régie générale – Rémi d’Apolito