Depuis qu’il a repris la direction du Théâtre de la Tempête après Philippe Adrien, Clément Poirée ouvre chaque saison (2019 mis à part) avec une de ses créations, nous réservant souvent bien des surprises. Il y a eu La vie est un songe de Calderon (2017), Les Enivrés d’Ivan Viripaev (2018), A l’abordage d’Emmanuelle Bayamack-Tam d’après Marivaux (2020), l’œuvre collective Catch ! (2021), Vania/Vania d’après Tchekhov (2022) et Autopsie mondiale d’Emmanuelle Bayamack-Tam (2023). Pour 2024, place au classique avec L’Avare, dans une version assez surprenante où tout le texte de notre grand dramaturge se fait bien entendre.
La peste soit de l’avarice et des avaricieux !
Qui est Harpagon ? Le plus gros radin de la littérature ! Sa radinerie oblige toute sa famille à vivre dans la misère. Comme son confrère Tartuffe, le personnage n’arrive pas de suite dans la pièce. On l’attend. L’auteur en profite pour mettre en scène la famille et les domestiques. Finalement, ils sont le centre du propos. Clément Poirée va s’appuyer sur cette idée pour suggérer que la scène finale est en réalité un complot familial, comme c’est le cas dans Le Bourgeois gentilhomme. Ce n’est pas nouveau, mais cela permet un éclairage subtil sur un passage qui apparaît si souvent ridicule.
Clément Poirée et son équipe ont eu la bonne idée de demander aux spectateurs d’arriver avec des objets ou des vêtements dont ils n’ont plus l’utilité. Dès l’entrée en salle, ceux qui ont bien lu les consignes sont invités devant la scène, à cour ou à jardin, à les donner aux artistes. Les comédiens sont vêtus d’un slip et d’un marcel blanc et les comédiennes d’une nuisette et d’une culotte blanche. Ils n’ont rien à se mettre sur le dos ! Et puis le plateau est dans la pénombre : normal, puisqu’il faut faire des économies ! Le temps de régler ce beau ballet de dons en tous genres — avec même des choses incongrues —, la comédienne qui incarne Frosine, aidée par les uns et les autres, fait office de chauffeuse de salle. L’ambiance est assurément à la fête !
La dynamique du théâtre de tréteaux
Tout ce joli foutoir va servir à réaliser, sous nos yeux, les costumes, à trouver l’accessoire adéquat… Au passage, ce qui n’aura pas servi est redonné à l’association La Petite Rockette. Selon l’arrivage, chaque représentation sera donc différente de la précédente. Le concept va plus loin, puisqu’il permet de découvrir le travail des artisans de l’ombre, comme les costumières, les décorateurs et les éclairagistes qui œuvrent à vue. Tout ceci est assez habillement orchestré pour ne pas brouiller l’intrigue de la pièce.
La jeunesse, celle que l’on opprime et frustre, est magnifiquement représentée par Mathilde Auneveux (impayable Élise), Pascal Cesari (formidable Cléante), Nelson-Rafaell Madel (remarquable Valère) et Marie Razafindrakoto (charmante Marianne). La Flèche, ce petit frère de Scapin est incarné par l’ineffable Virgil Leclaire. Maître Jacques trouve en Laurent Ménoret, un bon défenseur. C’est toujours avec gourmandise que l’on attend Frosine ! Anne-Elodie Sorlin y est succulente. Cette comédienne, qui a longtemps appartenu au collectif des Chiens de Navarre, possède une vis comica exceptionnelle.
Et Harpagon ? Il sera le seul à être dans le jus de l’ancien temps ! Portant le costume noir dans la pure tradition, celle de Charles Dullin, Michel Aumont, Louis de Funès, Jean-Michel Dupuis… John Arnold rêvait de ce rôle, il en est à la hauteur, campant avec malice et rouerie cet usurier sans cœur et sans scrupule. C’est un rat qui amasse et entasse. C’est maladif. Totalement déconnecté, à force d’avoir économisé surtout, il en a perdu l’essentiel, l’affection et la tendresse. C’est donc normal qu’à la fin, il se retrouve tout seul à idolâtrer une cassette dont le contenu sera différent chaque soir !
Marie-Céline Nivière
L’Avare de Molière
Théâtre de la Tempête
Cartoucherie – Route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
Du 13 septembre au 20 octobre
Durée 2h
Mise en scène de Clément Poirée
Avec John Arnold, Mathilde Auneveux, Pascal Cesari, Virgil Leclaire, Nelson-Rafaell Madel, Laurent Ménoret, Marie Razafindrakoto, Anne-Élodie Sorlin.
Collaboration à la mise en scène Pauline Labib-Lamour
Scénographie, accessoires d’Erwan Creff assisté de Caroline Aouin
Lumières de Guillaume Tesson assisté de Marine David
Costumes d’Hanna Sjödin assistée de Camille Lamy et de Malaury Flamand
Musique et son de Stéphanie Gibert assistée de Farid Laroussi
Maquillage, perruques Pauline Bry-Martin assistée de Sylvain Dufour
Régie générale, régie plateau Yan Dekel
Habillage Émilie Lechevalier, Solène Truong.