Le théâtre de Marivaux est à son aise au Lucernaire. L’auteur plaît aux enseignants, qui y amènent leurs élèves, et aux amoureux de théâtre qui aiment redécouvrir les classiques. Le jeu de l’amour et du hasard, mis en scène par Frédéric Cherboeuf, y a connu, la saison passée, un grand succès. Gageons que La double inconstance, mis en scène savoureusement par Jean-Paul Tribout, connaîtra le même sort.
Comme un air de conte de fées…
Il était une fois un prince tombé amoureux d’une jeune et belle villageoise. Comme tous les caprices lui sont autorisés, il enlève Silvia, qui enrage car son cœur bat pour Arlequin. La cour va alors conspirer pour aider le prince à séparer l’élue de son promis. Ne laissant aucune place au hasard, ce complot fait de serments indiscrets et de fausses confidences va mettre à l’épreuve un amour sincère pour en faire triompher d’autres. Mais comme le souligne le metteur en scène, n’ayons point d’illusion, il n’est pas certain qu’ils vivront heureux !
… au pays du libertinage
Dès le début, Tribout montre que le Prince et Flaminia, comme dans Les Liaisons dangereuses, ourdissent un piège qui ne sert que leurs propres intérêts. Le metteur en scène laisse très clairement deviner qu’ils ont une liaison. Comme tous les libertins, ils aiment jouer avec les sentiments amoureux. Ce point de vue est fort pertinent, offrant ainsi une lecture plus âcre de ce qui peut apparaître comme une simple galanterie. C’est bien un drame qui se joue derrière cette comédie amoureuse où les sentiments vont et viennent.
Flaminia est incarnée avec autant de charme que de rouerie par Marilyne Fontaine, qui fut une Phèdre magistrale dans la mise en scène de Robin Renucci. Il y a du Merteuil dans ce personnage de courtisane qui n’hésite pas à épouser Arlequin pour garder son ascendant sur le Prince. Par son physique, Baptiste Bordet a tous les atouts du prince charmant qui se révèle être un bien grand méchant loup.
Des acteurs de bonne foi
Pour Tribout, Silvia n’est pas uniquement une adorable brebis fragile. C’est une jeune fille au caractère bien trempé qui se débat avec l’idée qu’elle se fait de l’amour. D’un côté, il y a Arlequin. Il est la solution raisonnable. De l’autre, elle ressent une grande attirance pour ce beau soldat rencontré par hasard. Mais du Prince, elle n’en veut pas et sait bien le faire entendre ! Emma Gamet, révélée dans Le Fil à la patte et Belles de Scène, excelle à faire ressentir la tourmente que traverse son personnage.
Arlequin est poli par l’amour, celui qu’il porte à Silvia, mais aussi à la bonne chère. Ce qui fait qu’il ne résiste pas aux avances de Flaminia, gage d’une vie sans soucis matérielle. Mais, il est loin de n’être qu’un benêt ! Thomas Sagols l’incarne avec une grande malice. Il est impayable face à Trivelin, le serviteur zélé du Prince (interprété par l’espiègle Jean-Paul Tribout) comme face aux avances de Lisette. L’épatante Agathe Quelquejay prête sa grâce mutine à ce petit rossignol à la langue pointue et à l’esprit vif. Xavier Simonin est parfait en Seigneur hautain.
S’appuyant sur le décor habile d’Aurélie Tribout représentant une galerie des glaces qui permet aux conspirateurs de suivre l’avancée de leurs affaires et les très beaux costumes d’Aurore Popineau, la mise en scène de Jean-Paul Tribout est du vif-argent. Le théâtre y est à la fête.
Marie-Céline Nivière
La double inconstance de Marivaux
Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris
Du 18 septembre au 3 novembre 2024
Durée 1h25
Mise en scène de Jean-Paul Tribout
Avec Baptiste Bordet, Marilyne Fontaine, Emma Gamet, Agathe Quelquejay ou Lou Noerie, Thomas Sagols ou Anthony Audoux, Xavier Simonin et Jean-Paul Tribout
Lumières de Philippe Lacombe
Costumes d’Aurore Popineau
Décor d’Amélie Tribout
Collaborateur artistique de Xavier Simonin
