Élise Vigier © Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

Élise Vigier : « Je voulais évoquer la maladie sans violence, mais avec douceur »

Pour sa première pièce en tant qu’autrice, la comédienne et metteuse en scène tisse le récit commun de deux parcours, de deux femmes et de deux corps face à leurs limites. 

Élise Vigier : D’une traversée personnelle. Il y a peu, j’ai eu un cancer du sein. J’ai donc dû faire face aux différentes étapes qui jalonnent la vie d’une malade. Le protocole classique : l’opération, la chimio et les rayons. Durant un an, mon corps a été soumis à des traitements médicamenteux. Il en est ressorti changer. D’ailleurs, tout mon être a été transformé. Ce type de maladie nous modifie en profondeur et bouleverse le quotidien durablement. J’ai mis du temps, mais j’avais envie d’en faire le récit. Cela s’est imposé comme une nécessité à la suite d’une récidive cette fois d’un in-situ, qui a donné à une opération – mastectomie et reconstruction avec le grand dorsal. Même si c’est très intime, c’est aussi quelque chose d’universel. Et puis, inconsciemment, il y a dans nos sociétés occidentales un silence pesant sur la maladie et le cancer en particulier.

Nageuse de l’extrême – Portrait d’une jeune femme givrée, à partir des récits de Marion Joffle – Texte d’Élise Vigier © Christophe Raynaud de Lage
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Élise Vigier : Peut-être, mais pas seulement. Je pense surtout que c’est, pour nous malades, comme une vie parallèle. C’est assez étrange comme sensation. En même temps, deux existences cohabitent : le quotidien et le temps des soins. Ce que je savais, en revanche, c’est que je ne souhaitais pas aborder le sujet frontalement. J’avais plutôt dans l’idée de raconter cet itinéraire médical à travers un autre récit, celui de Marion Joffle, qui a en 2022 effectuée la traversée de la Manche. J’ai donc envisagé de parler de la traversée de la maladie et de la traversée de la manche comme métaphore, l’endurance du corps, les étapes, la métamorphose du corps, les éléments l’eau, le ciel, les arbres, les falaises… 

Élise Vigier : Il y a toujours plusieurs raisons. L’une d’elle est que la Manche est une mer que je connais bien. C’est la mer de mon enfance. Le fait que Marion soit nageuse a aussi son importance. C’est un sport que je pratique. J’aime l’eau, j’aime nager. Je n’ai jamais cessé de pratiquer même pendant les traitements. C’était, je crois, une manière de retrouver mon corps. Ce que je préfère en particulier, ce sont les piscines à ciel ouvert. La maladie, comme je le disais, nous change mais pas que de manière négative, elle nous permet d’appréhender la vie autrement, de faire de nouvelles expériences, d’avoir de nouvelles sensations. La nage a en cela pris une importance qu’elle n’avait pas avant qu’on me diagnostique la tumeur. 

Partant de cela j’ai eu envie de m’intéresser un peu plus à cette discipline, j’ai commencé à lire sur le sujet. Je suis d’abord tombée sur le parcours de Sarah Thomas, une Américaine qui, après un cancer du sein, a traversé la Manche trois fois de suite, aller-retour. Elle a nagé plus de cinquante-quatre heures. J’ai trouvé cela fascinant. Puis, par le plus grand des hasards, grâce à mon fils, j’ai fait la connaissance de Marion Joffle. Son histoire m’a touchée et le fait qu’elle se surnomme elle-même « le pingouin souriant » m’a énormément plu. 

Enfant, elle a contracté un sarcome épithélioïde et a dû être amputée du majeur de la main droite. De cette épreuve, elle a fait une force. La natation en condition extrême est devenue sa manière de continuer à se surpasser tout le temps, à ne jamais renoncer. Quand elle a traversé la Manche : c’était d’ailleurs pour une bonne cause, la recherche de l’Institut Curie du cancer chez les enfants.

Nageuse de l’extrême – Portrait d’une jeune femme givrée, à partir des récits de Marion Joffle – Texte d’Élise Vigier © Christophe Raynaud de Lage
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Élise Vigier : Je ne sais pas si c’est une combattante, mais il y a chez elle, comme chez moi finalement, cette idée de défi. L’une lutte contre les éléments, l’autre contre le cancer. En tout cas, on a fini par se rencontrer. Je lui ai parlé de mon projet. Elle a accepté que je l’interviewe. Nous avons pris des rendez-vous réguliers. En tout j’ai plus de cinq heures d’échanges. Ce qui était fou, c’est que je me retrouvais dans ces mots, qu’il y avait des résonnances avec ce que je vivais, la mise à l’épreuve de son corps, la notion de combat permanent, du lâcher-prise pour avancer. Devenir nageuse de l’extrême a changé son rapport au monde. Ce qu’elle aime c’est découvrir le monde en nageant, en devant faire face au givre, au froid, à la glace.

Élise Vigier : Pour nager dans les eaux froides de la Manche mais aussi dans celles de Norvège, elle doit s’entraîner, suivre une discipline de vie. Il en va de même quand on lutte contre un cancer. On doit suivre des protocoles, un parcours médical jalonné de rendez-vous et de modification de nos hygiènes de vie. Et puis il y a dans les deux cas, une notion d’étapes, de paliers. Il faut lutter contre la fatigue, continuer son chemin, poursuivre et accepter parfois de supporter la douleur pour avancer, pour guérir ou remporter un prix.

Élise Vigier : Clairement. Celui qui est amputé, celui qui lutte pour dépasser ses limites. Dans tous les cas, il y a une notion de transformation, de métamorphose. Dans les deux cas, il change, il s’adapte.

Élise Vigier : En laissant parler les mots, les émotions de l’une de l’autre. Cela fait plus de deux ans que je travaille à ce projet. Marion a depuis remporté de nouveaux défis et j’ai la chance d’être en rémission. Le recul aidant, l’histoire s’écrivant au fur et à mesure, j’ai beaucoup repensé à Rilke qui dans ses poèmes évoque les hôpitaux, notamment. Ce qui m’intéressait c’était d’évoquer la maladie sans violence, mais plutôt avec douceur. De mettre de la légèreté et des sourires dans tout cela. L’important, c’est qu’on est toujours vivant. Nous sommes tous mortels, mais cela est loin d’être glauque, bien au contraire. C’est une source puissante d’énergie d’en être conscient. On n’a pas le choix, cela fait partie de nous, on ne peut rien y faire. En évoquant le parcours de Marion Joffle, cela permet une métaphore parfaite de ce que j’ai vécu.  

Nageuse de l’extrême – Portrait d’une jeune femme givrée ; à partir des récits de Marion Joffle – Texte d’Élise Vigier © Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

Élise Vigier : Oui, je pense. J’en suis étonnée moi-même. C’est finalement assez drôle parce qu’en fait, c’est assez loin de ce que je suis. Je n’ai jamais eu la volonté de me raconter, même si forcément dans mes créations, il y a toujours un peu de moi. Mais là c’est différent, je suis un des sujets de la pièce. Je crois que j’avais besoin de parler de ce qui m’était arrivé. Le théâtre était l’endroit idéal, car c’est un lieu où on parle, pas forcément de soi, mais des choses que l’on traverse. Je suis quelqu’un de réservé par conséquent ce n’est pas totalement moi au plateau. Nageuse de l’extrême reste une fiction, ma première pièce qui n’est pas une adaptation.

Élise Vigier : Lors des auditions, j’avais demandé aux comédiennes d’amener un texte qui leur faisait penser au parcours de Marion. Léna [Bokobza-Brunet] avait choisi Croire aux fauves de Nastassja Marton. Cette ethnologue y raconte son histoire, sa rencontre avec les peuples d’Alaska, sa morsure par un ours qui lui a laissé une marque à vie, qui l’a transformée en profondeur. C’est très lumineux et, étonnement, cela a eu un vrai écho avec ce que je traversais. Et puis Léna est aussi nageuse. Il y avait comme une évidence.


Nageuse de l’extrême – Portrait d’une jeune femme givrée, à partir des récits de Marion Joffle – Texte d’Élise Vigier
Éditions esse que, septembre 2024
Théâtre ouvert
159 Avenue Gambetta
75020 Paris
du 16 au 28 septembre 2024
durée 1h05 environ

Tournée 
7 au 9 octobre 2024 à la Comédie de Caen, CDN de Normandie
24 au 28 février 2025 au 
Quai-CDN Angers (représentations hors les murs)
2 au 4 avril 2025 au Théâtre du Point du Jour, Lyon (représentations hors les murs)
13 au 16 mai 2025 au 
Quai-CDN Angers

Mise en scène d’Élise Vigier assistée de Flavien Beaudron
Avec Léna Bokobza-Brunet, Élise Vigier
Musique d’Étienne Bonhomme
Lumières de Bruno Marsol
Costumes de Laure Mahéo
Travail sur le mouvement – Sébastien Davis-Vangelder
Régie générale et plateau – Camille Faure
Régie son et lumière – Baptiste Galais

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