Qu’est-ce qui vous a donné envie de créer ce festival ?
Aline César : J’ai grandi au Neubourg, une petite ville de la campagne normande. Et j’ai le souvenir quand j’étais enfant et adolescente, qu’il fallait parcourir des kilomètres pour aller au théâtre ou le pratiquer. J’ai pu suivre les cours pour enfants de Nathalie Barrabé à Rouen. C’était une chance à l’époque. J’avais donc très envie d’impulser une aventure artistique chez moi, pour les habitants, pour la jeunesse.
Pendant des années, je suis passée devant le Vieux-Château du Neubourg sans trop y prêter attention. De face, il ressemble à un gros manoir, rien à voir avec le prestigieux Château du Champ de Bataille voisin, surnommé le « petit Versailles normand ». Toutefois, un détail m’a intriguée : sur la façade, une plaque mentionne la création en 1660 de La Toison d’or, opéra-féérie de Corneille. Ça a toujours attisé ma curiosité et mon envie d’en savoir plus. Quand on passe de l’autre côté du château, côté nord, on découvre des remparts, une tour, les restes d’un chemin de ronde, on devine les traces des douves, et d’un seul coup, l’image du château médiéval surgit.
Lorsque la ville a acheté la vieille bâtisse, j’ai tout de suite eu envie d’imaginer un projet capable de raconter cette histoire, de la projeter vers l’extérieur et de rendre visible l’invisible. Je souhaitais révéler une peu du mystère qui se cache derrière ces murs ancestraux. Des travaux de restauration ambitieux ont été engagés par la commune du Neubourg mais je ne voulais pas attendre alors j’ai proposé à la ville d’installer un festival dans les jardins. En 2022, l’aventure et pop! au château commençait …
Quel en est l’ADN ?
Aline César : L’ADN du festival trouve son inspiration dans cette histoire de la création de La Toison d’or de Corneille au XVIIème siècle : l’alliance du théâtre et de la musique sous toutes ses formes, un esprit d’innovation puisque La Toison d’or était aussi une « pièce à machines », l’identité du festival est aussi traversée par l’idée du voyage merveilleux et de la rencontre avec l’autre. Nous avons recréé dans cette perspective notre propre version de La Toison d’or en 2023, avec Laurent Charpentier, Naïssam Jalal et une scénographie de Johnny Lebigot à partir du lin, une des productions agricoles phares du plateau du Neubourg.
Mais je n’ai pas voulu un festival uniquement tourné vers la tradition, aussi l’ADN du festival se revendique profondément pop — j’entends par là la pop culture, la chanson pop. Nous voulons créer des passerelles entre culture savante et culture populaire, entre passé et présent. L’expression « et pop! » contient aussi l’idée d’une épopée, d’une aventure collective, celle de la découverte d’autres cultures et d’autres univers. C’est aussi l’envie de ramener, de rendre le château aux habitants, car c’est le seul château public dans toute la communauté de communes. Et puis bien sûr, c’est le pop du bouchon de cidre qui pétille, dans un esprit festif et convivial. Nous avons même eu l’idée de servir pour le festival une cuvée spéciale appelée Le Cidre de Corneille.
Quels en sont les grands axes ?
Aline César : Le festival déploie cette identité entre histoire et création contemporaine avec une programmation pluridisciplinaire centrée sur le théâtre et la musique. La programmation musicale se veut éclectique, nous avons accueilli depuis la récente création du festival des artistes aussi variés que Popimane Dramane Dembele, Marianne Seleskovitch, Cléa Vincent en duo avec Kim Giani, Robi, ODGE ou Naïssam Jalal.
Je me suis attachée à faire des propositions in situ puisque tout se déroule principalement dans les jardins, et c’est un peu le lieu qui a dicté ces choix, en imposant des formats légers qui permettent surtout de créer des expériences uniques dans les paysages et les architectures. Cela permet de déposer au fil des éditions des émotions et des souvenirs liés aux récits. L’espace patrimonial du Vieux-Château permet une grande proximité avec le public, ce qui oriente volontiers vers des formes participatives et interactives.
Et puis, au fil des deux premières éditions, j’ai observé que ce qui fonctionnait c’était un théâtre de récit, à même de rassembler un public le plus large possible autour d’histoires singulières. Je pense par exemple à Euphrate de Nil Bosca l’an dernier ou à La vie en vrai (avec Anne Sylvestre) de Marie Fortuit. Ce sont aussi des spectacles pour tous les âges. On a invité par exemple Et si tu danses de Marion Lévy, le Collectif Ubique et cette année Allez, Ollie … à l’eau de la Cie de Louise ou encore un concert de chansons pop pour les tout petits avec Mosai et Vincent.
Pour cette troisième édition, quel est le programme ?
Aline César : Pour le rendez-vous de 2024, nous avons eu envie de jouer avec l’actualité olympique avec une édition qui commence quelques jours après la clôture des jeux paralympiques. Ce sera donc une édition « retour de flamme ». On ravivera la flamme olympique le temps du week-end et le festival prendra des couleurs sportives en mettant en jeu le corps dans toutes ses dimensions de relation aux autres et au monde. Corps sportif, corps dansant, corps chantant, corps performant, corps blessé, corps silencié, corps éveillé, qui interroge sans cesse le lien de soi au monde.
Le coup d’envoi de cette troisième édition sera donné par un Impromptu dans le verger sur la fameuse joueuse de tennis Suzanne Lenglen, puis un spectacle de Marine Colard qui décortique la petite musique du commentaire sportif qui aura bourdonné dans nos oreilles tout l’été. La journée du samedi s’ouvrira avec Allez, Ollie … à l’eau ! qui met en scène la relation d’un petit garçon qui a peur de l’eau et de son arrière-grand-mère qui a été championne de natation aux JO de 1948. Autre combat, autre époque, Le portrait de Ludmilla en Nina Simone de David Lescot et Ludmilla Dabo met en scène à la fois la diva de la soul (mais )aussi militante pour les droits civiques. Et puis nous finirons la journée avec Histoire spirituelle de la danse, une causerie dont David Wahl a le secret, qui met en perspective la relation ambigüe de notre imaginaire occidental à la danse, entre fascination et réprobation. David Wahl, que j’avais très envie d’accueillir également pour tout le travail qu’il mène sur le rapport entre la science, l’histoire et l’environnement car, au terme de sa restauration, le Vieux-Château du Neubourg accueillera le Musée de l’écorché d’anatomie du Neubourg, un musée tout à fait singulier qui présente les premiers écorchés de médecine du Docteur Auzoux et qui intégrera une aile du château sous la forme d’un cabinet de curiosités.
La journée du dimanche s’ouvrira avec mon spectacle Billie the Queen, une pop-fiction sur la reine du tennis Billie Jean King, qui a d’ailleurs ouvert la session de tennis des Jeux olympiques en frappant les trois coups sur le cours Chartrier à Roland-Garros. Elle est à la fois une immense sportive mais aussi une championne de la lutte pour la reconnaissance du sport féminin et l’égalité des genres. On finira en douceur par un concert électro pop de Mosai et Vincent à destination des tout-petits qui invite au réveil et à l’éveil par le corps et la musique. Et je dois évidemment parler des Impromptus dans le verger. Ces clins d’œil à L’Impromptu de Versailles de Molière sont des formats courts et inattendus, qui surgissent sous les pommiers du verger, entre les spectacles. Cette année, après la performance sur Suzanne Lenglen pour la soirée d’ouverture, c’est l’extraordinaire musicien L’Oiseau Joli qui performera le samedi et le dimanche avec son accordéon et sa belle voix, pour nous transporter sur ses ailes et réunir le public autour de chansons anciennes ou plus pop…
Vous avez fait le choix d’associer cette 3e édition avec les olympiades et les journées du patrimoine. Pourquoi ?
Aline César : Nous avons fait le choix dès le départ d’installer le festival sur le temps fort des Journées Européennes du Patrimoine et du Matrimoine et de profiter de ce rendez-vous attendu, avec un public curieux, pour proposer des spectacles inattendus. Pour moi patrimoine va de pair avec matrimoine. Il n’y a pas que les vieilles pierres à célébrer, il y aussi des femmes, illustres, du passé ou du présent, qui constituent notre héritage commun. Avec et pop! au château, on se retrouve transporté dans les vies de Nina Simone, Sarah Bernhardt, Suzanne Lenglen, Billie Jean King… Au travers du format du biopic, le public s’approprie ces figures emblématiques, s’identifie à elles. Les mettre à l’honneur à l’occasion des JEP et surtout des Journées du Matrimoine contribue à porter d’autres récits là où on ne les attend pas.
La collusion de cette 3ème édition avec les olympiades s’est imposée cette année, d’autant plus que nous avons la chance d’accueillir au Neubourg un tournoi international de tennis féminin juste avant le festival. Le sport est très populaire et les figures sportives sont des icônes très pop, Billie Jean King, la championne de tennis amie avec Elton John qui a remporté le match « la bataille des sexes », en est la parfaite illustration. Et puis en regardant les images des spectacles, j’ai été frappée par la similitude entre les images de lutte politique, les combat pour les droits civiques de Nina Simone par exemple, et les images de victoire sportive. J’y vois des résonnances saisissantes entre les combats sportifs pour la reconnaissance et pour l’égalité et la lutte contre toutes les discriminations. C’est tout l’intérêt d’un festival sur le temps court d’un grand week-end de pouvoir initier un dialogue entre les récits ..
Que peut-on vous souhaiter ?
Aline César : Que le festival s’impose comme l’un des grands rendez-vous festivaliers en Normandie, et pourquoi pas une référence du théâtre musical et des formes in situ. Mais aussi qu’il se développe sur des temps forts au cours de la saison. Dès l’an prochain, nous allons commencer à proposer des rendez-vous plus réguliers en lien avec la résidence de l’artiste Johnny Lebigot intitulée Anatomie d’une écorce et qui portent sur le rapport au vivant.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Festival Et pop ! au château
Le Neubourg
du 20 au 22 septembre 2024