Quel plaisir de retrouver sur une affiche le nom de la délicieuse et talentueuse Attica Guedj. Comédienne, autrice et adaptatrice, son nom est associé à celui de son époux, Stephan Meldeg, ce grand metteur en scène aux nombreux Molières, qui dirigea brillamment le théâtre La Bruyère. Elle aborde, dans cette pièce, au titre étrange, Aïe, ce moment, où l’âge venant, le cerveau joue des tours.
Vivre sans tendresse, on ne le pourrait pas
Alors qu’il était enfant, la grand-mère de Simon lui apprend que lorsqu’une dispute surgit et que les mots risquent de blesser, il suffit de dire cette interjection : « Aïe ! ». Puisque cela va faire mal, autant s’arrêter ! Essayez, vous allez voir, ça marche plutôt bien. Simon, c’est un garçon en or. Il a l’âme de ceux qui sont au service des autres. C’est un mari aimant, un papa poule et son travail consiste à écrire les mémoires des gens sans histoire. Il est aussi un petit-fils très attentionné qui adore rendre visite à sa grand-mère assez fantasque qui le gâte par des petits plats.
Mais le monde des bisounours n’existe pas ! Simon le sait. Il doit faire face aux petits tracas de son quotidien : une femme très prise par son métier d’agent artistique, des enfants dont il doit s’occuper, de courir dans tous Paris pour rencontrer ses clients, trouver entre deux tâches ménagères le temps pour écrire et aller voir sa Mamie chérie. À chacune de ses visites, il se rend compte que cela cloche de plus en plus et que cela ne tourne plus vraiment très rond dans sa tête. Que faire ? Nous n’en dirons pas plus, car l’autrice nous offre une fin inattendue.
Les couleurs de la vie
La mise en scène d’Attica Guedj est très gracieuse. La scène est divisée en deux : d’un côté l’appartement foutraque de Simon, envahi de jouets, de l’autre le petit nid de Mamie, rempli de souvenirs. Au centre, une porte. S’appuyant sur les aquarelles d’Anne-Isabelle Sigros, le décor de Catherine Bluwald est de toute beauté. La circulation entre les deux espaces a été pensée subtilement. C’est très vivant. La metteuse en scène fait évoluer ces petites scènes du quotidien avec une belle poésie.
Antoine De Foucauld, qui incarne Simon, est une révélation. Ce jeune comédien sorti du Conservatoire national d’Art dramatique en 2020, que l’on a pu découvrir dans Quai Ouest au TNB, a un bel avenir devant lui. Avec son joli petit minois craquant, Katia Miran est parfaite dans le rôle de Clara. La comédienne donne de belles teintes à cette femme que l’on définit encore comme « moderne » : celle qui doit jongler avec son boulot, son couple et ses enfants.
Délaissant sa plume d’auteur (Je m’appelle Georges, Le retour de Richard 3 par le train de 9h24), Gilles Dyrek retrouve son statut de comédien. Pour fêter cela, ce n’est pas un personnage mais plusieurs qu’il va interpréter. Passant avec une belle dextérité et sans anicroche, du vieux monsieur à l’adolescent mal dans sa peau, du concierge portugais au chauffeur de taxi. Il est très cocasse lorsqu’il endosse la personnalité d’un acteur ringard et prétentieux.
Quand la mémoire flanche, il reste l’amour
Fondante comme un loukoum, Isabelle de Botton est Mamie, cette fantastique grand-mère que l’on rêverait tous d’avoir. Ce rôle lui va à ravir. La comédienne s’est glissée avec une belle aisance dans les nombreuses nuances de son personnage. Celles d’une femme qui a dû quitter son Algérie natale — et qui en a gardé la nostalgie —, qui a dansé au son des seventies, qui a aimé, rit et pleuré, et dont les souvenirs se font de plus en plus flous dans sa tête. Le duo plein de tendresse qu’elle forme avec Antoine De Foucauld fonctionne à merveille.
Marie-Céline Nivière
Aie, texte et mise en scène d’Attica Guedj
Petit Montparnasse
31 rue de la Gaîté
75014 Paris
Du 4 septembre au 31 décembre 2024
Durée 1h30
Avec Isabelle de Botton, Antoine De Foucauld, Katia Miran et Gilles Dyrek
Décor de Catherine Bluwald
Aquarelles d’Anne-Isabelle Sigros
Costumes d’Aurélie Thomas
Lumières d’Olivier Oudiou
Son d’Hervé Haine
Assistante à la mise en scène Camille Delpech