Deux solos féminins puissants et engagés, deux actes de résistance chorégraphique. L’Atelier de Paris/CDCN a démarré le mois de septembre sur les chapeaux de roue avec un double programme mettant à l’honneur la nouvelle génération de chorégraphes lituaniens. Sa directrice Anne Sauvage nous fait découvrir ces deux créations dont le titre invite au voyage et à la réflexion et qui offrent un aperçu de la vigueur de la créativité balte.
Le premier solo nous plonge dans une atmosphère mystérieuse. She dreamt of being washed away to the coast prend sa source dans un conte populaire et la mythologie balte. La tragédie d’un amour entre une sirène et un mortel. Si l’histoire mérite d’être découverte, nul besoin d’en savoir plus pour apprécier le solo créé par le chorégraphe Lukas Karvelis.
Dominyka Markevičiūtė prête son corps élastique à ce personnage emprisonné dans sa solitude. Les bras enserrés dans une camisole, elle oscille doucement. Ses mouvements d’abord tenus prennent progressivement de l’ampleur. La proposition se fait de plus en plus fascinante lors du long passage au sol. Le mouvement devient spirale et nous prend dans ses filets jusqu’à l’hypnose.
Son interprétation touche par sa douce résistance et cette façon très singulière de composer avec la contrainte. Sans ostentation, avec une intériorité dense et vigoureuse, cette danseuse nous bluffe par sa présence au plateau.
Le corps comme terrain de revendications
Le deuxième solo When you’re alone in your forest always remember you’re not alone interroge la notion de résistance. Dissimulé sous une capuche et des vêtements trop grands pour lui, le personnage central fait de son corps un terrain de revendications. Les gestes de protestation irriguent l’écriture chorégraphique et génèrent une forme de tension : poing levé, bras tendu, épaules légèrement voûtées. Les mouvements saccadés martyrisent l’air. Créée par Vilma Pitrinaitė (sur la photo), la performance est ici interprétée par Marija Ivaškevičiūtė. Par moments, dans les accents de la chorégraphie, on retrouve la viscéralité des solos de Oona Doherty. Sur le fil, à deux doigts de l’implosion.
La création sonore qui baigne la pièce est traversée de sons issus de mouvements de résistance dans les pays de l’Europe de l’Est, notamment en Lituanie. Le corps se fait caisse de résonnance. On se retrouve embarqué dans un sentiment de chaos collectif. Et on comprend la charge symbolique qu’un tel solo revêt dans le contexte de la guerre en Ukraine. Face aux événements récents, que peuvent les artistes si ce n’est créer « des rituels contre l’impuissance » ? Des remparts face à la brutalité du monde.
Claudine Colozzi
Double programme nouvelle génération de chorégraphes lituanien.nes
Atelier de Paris – CDCN – Automne en création(s)
spectacles présentés du 17 et 18 septembre 2024 dans le cadre de la saison de la Lituanie en France 2024 jusqu’au 12 décembre 2024.
She dreamt of being washed away to the coast de Lukas Karvelis
Durée 40 mn
Tournée
28 et 29 novembre 2024 à Maison de la Danse de Lyon (69)
Concept et chorégraphie de Lukas Karvelis
Avec Dominyka Markevičiūtė
Musique de Dominykas Digimas
Costumes de Morta Nakaitė
Création lumière de Povilas Laurinaitis
Regard extérieur : Bush Hartsorn
When you’re alone in your forest always remember you’re not alone de Vilma Pitrinaite
Durée 30 mn
En tournée
5 et 6 octobre 2024 au studio moD / Friche la Belle de Mai à Marseille (13)
10 et 11 octobre 2024 au théâtre Alibi à Bastia (20)
Avec Vilma Pitrinaitė ou Marija Ivaškevičiūtė, en alternance
Son d’Elias Durnez
Scénographie et costumes d’Elvita Brazdylytė
Lumière de Florian Gaillochon et Caroline Mathieu
Dramaturgie de Pascale Gigo