À l’inauguration de la Mousson d’été, Véronique Bellegarde rappelle toute la force de ce festival unique en son genre, imaginé en 1995 par Michel Didym, qui permet de faire découvrir et d’entendre des œuvres d’autrices et d’auteurs contemporains. Pour cette 30e édition, celle qui fut nommée directrice artistique en 2022 a souhaité « ouvrir vers l’avenir » la programmation, « en mettant en valeurs de nouvelles dramaturgies internationales inspirantes et en proposant des découvertes de jeunes écritures françaises ».
Un essaim bruissant autour du théâtre
Durant les six jours denses que durent ces rencontres, dans ce lieu magnifique qu’est l’Abbaye des Prémontrés, le théâtre est au centre de toutes les attentions, à travers des textes français ou traduits, qui ont été sélectionnés par le comité de lecture constitué d’une quinzaine de membres (universitaires, metteurs en scène, comédiens, producteurs et traducteurs). Par le talent des metteuses et metteurs en scène, des comédiennes et des comédiens, ces œuvres inédites vont être confrontés pour la première fois au public à travers des lectures mises en espace. En parallèle, il est proposé des rencontres, des débats et des cabarets musicaux et littéraires.
L’autre particularité de ce festival est qu’il abrite également l’Université d’été européenne. Venus d’un peu partout et de tous les âges, étudiants, universitaires, professeurs, professionnels et passionnés viennent se confronter aux écritures théâtrales. Durant toute la durée de la Mousson, ces « stagiaires » participent le matin à des ateliers menés par Jean-Pierre Ryngaert, Joseph Danan, Nathalie Fillion et Pascal Henry, et assistent aux diverses manifestations programmées, se mêlant au public.
Première journée expérimentale
C’est le jour d’arrivée. La ruche commence à bruisser. Chacun prend ses marques dans l’immense et majestueux édifice pour ne pas se perdre. Après l’inauguration et les discours d’usage, suivi d’un passage au réfectoire, tout le monde file au gymnase pour assister à Ces Yeux du prix Nobel Jon Fosse, traduite par Marianne Ségol Samoy, mise en lecture par Véronique Bellegarde. À l’entrée, on distribue aux spectateurs un casque audio qu’il faut mettre sur ses oreilles. Dans les micros, Éric Berger, Marie Dompnier, Flore Lefebvre des Noëttes, Noémie Moncel, Charles Nelson, Achille Reggiani, Alexiane Torres et le musicien Philippe Thibault font véritablement résonner les mots du dramaturge norvégien qui semblent parvenir de tous côtés. Cette aventure sonore est magnifique.
Deuxième journée
La première mise en lecture de la journée, dirigée Cédric Gourmelon, se déroule sous le chapiteau, installé sous les marronniers. Les poules à chair est l’œuvre de Sylvain Septours, un tout jeune auteur. Il y est question de la solitude d’un jeune homme sans autre horizon que le monde que son père lui a destiné. Bien que portée par l’interprétation puissante d’Achille Reggiani, ce texte s’avère parfois un peu trop biscornu pour s’y retrouver.
Pas le temps de trop traîner, car il faut assister à une conversation orchestrée finement et joyeusement par Jean-Pierre Ryngaert, autour des trente ans de la Mousson à travers cette feuille de route indispensable qu’est le journal Temporairement contemporain, que les festivaliers attendent chaque matin. Se mêlent anecdotes, lectures d’articles anciens par Marie Champion et prises de parole — notamment par le rédacteur actuel Arnaud Maïssetti et Anaïs Heulin, qui l’a dirigé autrefois durant trois saisons.
Coups de cœur
Après une petite pause, rendez-vous sous les peupliers pour Loin de la boue où l’on s’endort de Gaëlle Axelbrun, mise en lecture par Carole Thibaut. Deux sœurs, un frère, trois mômes aux nombreuses fêlures pour tenter de raconter l’impensable réalité d’un père maltraitant. Dans une interprétation impressionnante, Simon Jacquard, Charlotte Leonhardt et Noémie Moncel font briller ce texte admirable. On souhaite que cette lecture se transforme vite en spectacle.
Le soir, nous voilà tous partis pour le centre culturel Pablo-Picasso de Blénof-lès-Pont pour assister au magnifique spectacle de Nathalie Fillion, Sur le cœur, découvert cet été au Festival Off d’Avignon. Le public ayant répondu très largement présent, il a fallu rajouter des sièges et même obliger certains à laisser leur place. Le succès a été au rendez-vous.
Troisième journée
Elle était annoncée comme la journée la plus chaude et elle le fut à bien des égards. C’est donc avec plaisir que le public a profité de la clim de l’Amphithéâtre où avait lieu la première mise lecture de cette journée marathon, Nations Unies, de Clemens Setz, traduite par Jean-Luc Besson et Antoine Palévody, dirigée par Cédric Gourmelon, avec Éric Berger, Bénédicte Cerrutti, Sébastien Eveno, Charlotte Leonhardt et Julie Pilod. Tant par son sujet, la monétisation de son enfant via les réseaux par des parents peu scrupuleux que par sa forme, la pièce de l’Autrichien en a dérouté, voir agacé, plus d’un. Certains ont assisté ensuite à la rencontre avec les traducteurs, pendant que d’autres ont été retrouver le frais avant de se rendre à la deuxième lecture à l’Espace Saint-Laurent de Pont-à-Mousson.
65 rue d’Aubagne, texte écrit et mis en lecture par la jeune et talentueuse Mathilde Aurier, raconte sur plusieurs jours, la catastrophe de l’effondrement des deux immeubles marseillais en 2018. Ce texte magnifique, lauréats de l’aide à la création d’Artcena, a été interprété très brillamment par les comédiennes et comédiens du chantier de création amateur du bassin mussipontain.
Sous les caprices du temps
L’orage menaçant a éclaté juste au moment de la sortie ! Une pluie diluvienne s’est abattue sur les festivaliers, qui n’ont pas perdu leur bonne humeur. « C’est normal, c’est la mousson ! ». Le temps de se sécher et de se restaurer, tout le monde s’est retrouvé à la bibliothèque de l’Abbaye pour assister à la mise en lecture de Rest/E d’Azilys Tanneau, une jeune autrice plus que prometteuse qui a imaginé que grâce à l’IA on pouvait faire « revivre les morts ». Dirigés par Cédric Orain, les comédiens Gaël Baron, Vladislav Botnaru, Sébastien Eveno, Charlotte Leonhardt et Carole Thibaut ont fait entendre avec finesse ce texte drôle et bouleversant.
C’est sous une pluie toujours aussi ardente, que l’on a tous filé sous le chapiteau pour Comment ça, ça va pas ? !, le formidable cabaret conçu et interprété par Pascale Henry (qui chante divinement), Hervé Legeay et Philippe Thibault avec les artistes de la Mousson, sous le regard de Véronique Bellegarde et en guest star, David Lescot et sa trompette. La pluie ayant cessé, la chaleur est vite revenue grâce à DJ Corinne qui a enflammé le dancefloor ! Le bilan de ces trois premiers jours, placés sous le signe de la jeunesse et des thématiques bien « encrées » dans la société, est que la création demeure foisonnante.
Et ça continue
Les trois derniers jours du festival proposent de découvrir des autrices et auteurs étrangers, Steve Gagnon (Québec), Magne van den Berg (Pays bas), Sara Stridsberg (Suède), Monica Isakstuen (Norvège) ainsi que des textes des français Jérémie Fabre, Claire Tipy, Catherine Benhamou, les spectacles de David Lescot, Portrait de Ludmilla en Nina Simone, avec la délicieuse Ludmilla Dabo et En pièce jointe de Gaël Germain et Armande Sanseverino.
Et comme on ne fête pas ses trente ans sans marquer le coup, la Mousson d’été offre aux Mussipontains et Mussipontaines, Vies et visages de Pont-à-Mousson. Cette très belle exposition de photographies signée Philippe Lacroix, illustrées par les textes de Lucie Depauw sera visible jusqu’au 22 septembre, boulevard de Riolle. Après la très belle session de l’année passée, la Mousson d’été démontre qu’elle n’en a pas terminer d’arroser et de faire fleurir la création dramatique.
Marie-Céline Nivière – Envoyée spéciale à Pont-à-Mousson
La Mousson d’été
Abbaye des Prémontrés – 54700 Pont-à-Mousson
Du 22 au 28 août 2024
Autrices et auteurs présentés en lecture :
Mathilde Aurier, Gaëlle Axelbrun, Catherine Benhamou, Jérémie Fabre, Jon Fosse (édition L’arche), Steve Gagnon, Monica Isakstuen, Sylvain Septours, Clemens Setz, Sara Stridsberg, Azilys Tanneau, Claire Tipy, Magne van den Berg.
Artistes (direction des lectures et interprétation) :
Mathilde Aurier, Gaël Baron, Otilly Belcour, Véronique Bellegarde, Éric Berger, Sophie Bissantz, Vladislav Botnaru, Samuel Buggeln, Bénédicte Cerutti, Marie-Sohna Condé, Laurence Courtois, Ludmilla Dabo, Marie Bompnier, Sébastien Eveno, Jérémie Fabre, Steve Gagnon, Gilles Gaston Dreyfus, Cédric Gourmelon, Simon Jacquard, David Lescot, Flore Lefebvre des Noëttes, Charlotte Leonhardt, Noémie Moncel, Cathy Min Jung, Charlie Nelson, Cédric Orain, Julie Pilod, Achille Reggiani, Carole Thibaut, Alexiane Torres, Pauline Valle, Aurélie Van den Daele.
Les spectacles
Sur le cœur texte et mise en scène de Nathalie Fillion, avec Marieva Jaime Cortez, Rafaela Jirkovsky, Manon Kneusé, Damien Sobieraff.
Portrait de Ludmilla en Nina Simone, texte et mise en scène David Lescot, avec Ludmilla Dabo et David Lescot.
En pièce jointe, interprétation, chorégraphie et mise en scène Gaël Germain et Armande Sanseverino.