Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Je dois avoir 8 ou 10 ans. Sur une plage en Corse, entouré d’amis, j’accompagne mon père qui chante Le prisonnier d’Antoine Ciosi.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Je dirais la rencontre en 2014 avec l’équipe de Chère Elena – Myriam Boyer, Gauthier Battoue, Jeanne Ruff et François Deblock – d’après l’œuvre de Ludmilla Razoumovskaïa, mise en scène par Didier Long au Poche Montparnasse. Après cette longue exploitation, j’ai eu besoin d’apprendre tout ce que je ne savais pas du théâtre. Tous les soirs j’allais voir des spectacles. Par la suite, j’ai pris goût à la littérature. Dès ce moment-là, le nombre de rencontres déterminantes, en chair ou en histoires, n’a cessé de croitre.
Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien ?
Toutes ces rencontres que je viens d’évoquer. La passion avec laquelle des hommes et des femmes travaillent à faire exister l’invisible. Leur foi et leur abnégation pour la poésie. Un jour, je me suis dit : « tiens, il y a un endroit sur terre où l’on respecte concrètement l’imagination et le rêve, je veux en être ! ».
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
J’ai joué Dobby dans une adaptation de la saga Harry Potter au collège, tout le monde était impressionné, ça m’a fait chaud au cœur. Et Chère Elena, je me souviens prendre une douche après une représentation à Ramatuelle et entendre les voix bouleversées des spectateurs par la fenêtre. Le rapport très direct avec l’émotion du public est une récompense qui devient inestimable à mesure que je grandis.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Ma première fois dans la cour d’honneur du Palais des Papes. Thyeste de Thomas Jolly, un homme traversait le plateau les yeux bandés et escaladait une gigantesque tète. J’ai pleuré. L’Animal imaginaire de Novarina et sa grande peinture colorée sur le sol blanc immaculé. Je me souviens des corps dégingandés suivant en silence, avec curiosité, un violoniste (Mathias Lévy) vêtu d’un kimono tout noir quinze minutes durant. Là encore, j’ai pleuré. Plus Récemment Nid de Cendres de Simon Falguières, spectacle de 12 heures. Une merveilleuse ode au théâtre.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Je me répète mais l’équipe de Chère Éléna en premier lieu. Autrement, lors d’ateliers (chantiers Nomades), j’ai eu la chance de rencontrer des personnes très inspirantes, comme Marie Payen, François Cervantes, Marcial di Fonzo Bo ou Marianne Ségol… Et surtout la merveilleuse équipe Des Marchands d’étoiles que j’ai la chance de voir tous les jours actuellement.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Je me nourris de création. Sans ça, la vie me parait insipide. Uniquement consommer me fait me sentir coupable, j’ai besoin de faire, de jouer, d’écrire… Ça a commencé très tôt avec la musique, j’écrivais des chansons à treize ans. « L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art » Je ne sais plus où j’ai lu ça, peut-être dans des toilettes… Sans l’art, je pense que je m’abandonnerais totalement aux plaisirs, à une forme d’hédonisme vain.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Les gens inspirés. « Moi je fonce à vive allure et entêté d’avenir, la tête en bas, comme un bison dans son destin » disait Gaston Miron. Cette image est pour moi celle de l’artiste obsessionnel. Le feu prométhéen et le risque de se brûler. Et la solitude parmi les éléments où chaque chose semble être complice d’un dessein universel.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
« Et chanter dans le noir, et marcher à pas lents revenir, chuchoter des histoires drôles et de temps à autres, pousser quelques hurlements salutaires. Réveiller les endormis. » comme le disait Jean-Luc Lagarce. L’époque est au développement personnel et la conscience du bien-être par le temps présent. Ça a une petite tendance à m’agacer car l’évitement de la souffrance me parait infertile mais au théâtre, cette quête infinie de l’instant est jouissive. J’essaie de ne pas rire ou pleurer suivant ce qui est écrit ou prévu par la mise en scène. Mais de rire ou pleurer suivant ce qui se passe entre les acteur·ices sur le moment. Le théâtre apprend l’écoute. À ne pas paniquer, à grattouiller doucement sous la gueule de fauve qu’est la scène.
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
On m’a fait prendre conscience d’une espèce de boule dans le bas ventre au-dessus du sexe. On m’a fait prendre conscience de l’énergie dans ma langue et, plus superficiellement, j’ai du plaisir à faire ce métier quand il me file la chair de poule. Je me sens au bon endroit avec les frissons.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Je dirais à la volée Catherine Germain, Mathieu Amalric, Jacques Audiard, Radiohead, Denis Lavant, Wouajdi Mouawad, Antonin Chalon, Élodie Navarre, Jean Bellorini, Jean-Yves Ruf, Lilo Baur, Charlotte Le Bon, Wim Wenders, Erwan Leduc, Dominik Moll, Murakami, Erri de Luca, Ivan Viripaev, Gaspar Noé, Lorraine de Sagazan, Bronka Nowicka…
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
J’aimerais faire partie d’aventures comme les adaptations théâtrales de La Horde du contrevent de Damasio, de Cent ans de Solitudes de Gabriel Garcia Marquez ou de la Trilogie New Yorkaise de Paul Auster…
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
J’ai tout de suite pensé à Des fleurs pour Algernon de Daniel Keyes. L’histoire d’un homme un peu simplet cobaye d’une expérience qui va le rendre extrêmement intelligent pour finalement dégénérer et le ramener à son état du début, voire ? « pire »… Métaphore de ma vie, de la vie en général peut-être. Cette volonté́ de tout savoir, tout comprendre, tout vivre. De progresser s’efforçant de collectionner des preuves pour répondre par l’affirmative à la question du sens de la vie. Et à la fin de nos jours, se retrouver tous et toutes égaux, vulnérables face à la mort.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Les Marchands d’étoiles d’Anthony Michineau
Spectacle créé en 2023 au Festival OFF d’Avignon au Théâtre des Corps Saints
Le Splendid
48 rue du Faubourg Saint-Martin
75010 Paris
Du 23 août 2024 au 5 janvier 2025
Durée 1h30.
Mise en scène de Julien Alluguette
assisté de Blandine Guimard
Avec Guillaume Bouchède, Nicolas Martinez, Stéphanie Caillol, Axelle Dodier, Julien Crampon, Anthony Michineau.
Scénographie de Georges Vauraz
Création sonore de Yohann Roques