Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
La rue surtout ! Un clown, dans la cour d’école primaire. Amédée Bricolo, il venait jouer avec son chien. Chaque mois de juin, dans la petite ville où je vivais, Saint-Jean de Braye, aux bords de Loire, il y avait le concours de vélos fleuris, les auto-tamponneuses et un festival de théâtre, sous chapiteau et dans les rues. C’était magique. Un matin en allant au collège, j’ai vu des voitures accidentées en haut des arbres ! C’était Royal de Luxe. Un soir, un fou sur son cheval a embarqué ma petite sœur, lors d’une parade dans le grand parc où le festival avait lieu : c’était Bartabas ! C’était dingue, libre et ça nous choquait, ça nous excitait. On était des mômes et on voyait des adultes déglingués, habillés de couleur, être pires que nous. Mon premier souvenir c’est ça. Cette folle liberté, ce monde à part, des gens venus d’une autre planète pour nous raconter des histoires. Et ça me faisait peur.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
C’est étrange mais je ne me souviens pas avoir vécu un moment particulier de déclencheur. Plutôt une évidence, qui avait toujours été là sans doute. Chez nous on lisait, on allait au théâtre à Orléans… Ça faisait partie de notre vie et je m’y sentais bien. Je lisais beaucoup. J’aimais la solitude du lecteur, comme j’aimais la solitude du spectateur dans l’obscurité d’une salle, cinéma ou théâtre. Ce moment où tu t’enfonces doucement dans l’imaginaire et les émotions. Ce moment où tu vis des choses qui ne sont pas complètement ta vie. Je m’y suis toujours sentie en sécurité. J’étais inscrite a un petit club de théâtre et au club théâtre du collège. On y bricolait des histoires.
Je voulais être journaliste, écrire des reportages, aller sur le terrain, être correspondante de guerre ou quelque chose comme ça, être loin. Je me posais toujours cette question stupide « quand je serai grande, comment continuer à faire un peu de théâtre si je fais un reportage au Liban ou si j’enquête sur une affaire à Washington ? » Je me voyais vraiment dans une vie de journaliste-reporter à la Kessel ! Et j’ai fini par comprendre que « faire du théâtre » pouvait tout simplement être un métier. Mon métier.
Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédienne ?
Ce désir d’être dans les histoires et m’inventer des vies. Et plus que comédienne, je suis quelqu’un qui « fait du théâtre ». Car ce que j’aime, avant tout, c’est créer un objet théâtral, écrire un spectacle. Et je me pose presque chaque jour la question contraire : pourquoi je n’arrive pas et ne suis jamais arrivé à supporter le reste du monde, le monde « normal » ? Être dans un bureau, avoir un travail régulier, faire de grandes études, avoir « une situation » ? Pourquoi ? Je ne me l’explique pas. C’est comme si j’étais toujours à la recherche de quelque chose que je ne trouve pas. Parce que les autres places m’effraient, je sais que je suis à ma place.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Au centre social du quartier, dans ce petit club théâtre, on avait tricoté un spectacle avec Les contes du Chat perché. J’adorais l’histoire des bœufs. Je jouais avec un sérieux incroyable mon grand rôle du bœuf blanc. J’avais un torchon blanc autour des épaules, le visage maquillé en blanc. Mon amie d’enfance se souvient encore que j’étais impitoyable avec les autres. Je prenais tout ça très sérieusement et je ne supportais pas les fous rires et les imperfections !
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
C’est assez rare somme toute d’avoir des chocs au théâtre. Des chocs qui vous transforment complètement. J’en ai eu avec des spectacles de génie. Le premier, c’est la découverte, à dix-huit ans, du Théâtre du Soleil à la Cartoucherie, L’Indiade ou l’inde de leurs rêves. Et la même année, grosse claque, la Cour d’Honneur, ma première fois à Avignon, avec Hamlet, par Chéreau. Puis deux autres grandes folies : La Tempête par Brook, et longtemps après, j’ai eu un véritable choc pour De beaux lendemains aux Bouffes du Nord, par Emmanuel Meirieu. J’étais tellement sonnée que je suis revenue voir ce spectacle plusieurs soirs de suite.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
À vivre. C’est ma vie, ma respiration, mon refuge aux folies du monde et des hommes, mon secours.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Mon compagnon de vie, de scène, de théâtre, mon époux, mon frère, mon meilleur ami, Richard Arselin. Et tous les comédiens et comédiennes, techniciens, costumières, théâtres, tous ceux qui nous accompagnent, qui nous font confiance, qui se laissent embarquer dans nos voyages.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Les petites choses de la vie : la nature, les odeurs, le rayon d’une lumière, un oiseau, un livre, une musique, une conversation volée à la terrasse d’un café, le regard d’un passant, la dégaine d’un voyageur, un rêve, l’ennui. Je suis très contemplative.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Organique. Essentiel. Nécessaire. C’est un endroit où je me sens invulnérable. Puissante. Et je prends ça très sérieusement. C’est sacré. C’est l’endroit ultime de la rencontre des hommes, réunis autour d’une parole, d’une histoire. La centrifugeuse des émotions. La médiocrité n’a pas sa place, l’exclusion non plus.
À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Tout mon être. Corps, esprit. Respiration.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
J’aime les vraies rencontres, sincères, profondes, les « reconnaissances de bêtes ». Travailler avec ceux-là, celles-là, si nos chemins se croisent.
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
J’ai l’impression de déjà participer à des choses folles ! Monter un spectacle est une folie en soi. Je rêverais de travailler dans une très grande équipe, sur un immense texte, dans différentes langues. Jouer Lady Macbeth, ou le fou de Lear. Écrire une épopée. Monter tous les spectacles que j’ai dans ma tête !
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Un jardin ! À la fois sauvage et cultivé. Un jardin anglais. Et un coin de jardin japonais, tout au bout. Je serais l’œuvre de Bonnard. Rien que ça.
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
Un homme qui dort de Georges Perec.
Festival OFF Avignon
Théâtre Transversal
10 Rue Amphoux
84000 Avignon
Du 29 juin au 21 juillet 2024 à 19h45, relâche les mardis.
Durée 1h10.