The Disappearing Act d'Yinka Esi Graves © Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

« The Disappearing Act. », plongée vertigineuse aux racines noires du Flamenco 

Au Festival d’Avignon, la chorégraphe britannique Yinka Esi Grave brûle les planches en redonnant de la visibilité aux artistes africains qui ont marqué les débuts de cet art andalou. 

Au centre de la scène éclairée de toute part, une coiffe ethnique fait de fils d’or et de perles brille de mille éclats. Derrière, une silhouette à peine perceptible semble se dessiner. Tapi dans l’ombre, c’est tout un monde invisibilisé qui s’apprête à envahir la scène et à prendre enfin toute la lumière. Combinaison rose moiré, cheveux relevés en chignon, Yinka Esi Graves fend l’air avec une détermination et une grâce inouïe. Les gestes tranchants, les jambes, telles des banderilles, frappent le sol à vive allure. Le temps s’est suspendu, les spectateurs retiennent le souffle et ne le reprendront qu’à la toute fin de cette performance unique et sidérante. 

The Disappearing Act d'Yinka Esi Graves © Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

La danseuse et chorégraphe, londonienne de naissance mais d’origine ghanéenne par sa mère et jamaïcaine par son père, vit depuis une quinzaine d’année en Espagne, où, entre Madrid et Séville, elle a appris le flamenco. Se nourrissant au sel de cet art traditionnel né à la fin du XIXe siècle, elle fonde sa propre compagnie pour mieux hybrider cette danse avec d’autres courants plus contemporains. Après avoir travaillé pour d’autres artistes, elle présente à Avignon sa toute première création, The Disappearing act.

Puisant autant dans son histoire personnelle que dans celle de figures telle que Mademoiselle La La, acrobate afro-descendante, vedette du cirque Fernando, immortalisée par Degas en 1876, elle esquisse une autre histoire du Flamenco. En quête de repères et de racines au plus profond de son corps et de son être, elle met sous les projecteurs les Africains vivants dans le sud de l’Espagne qui, au moment de son émergence, auraient pu participer à son évolution. 

Accompagnée au plateau par la guitare de Raúl Cantizano, la batterie de Remi Graves et la voix de velours de Rosa de Algeciras, Yinka Esi Graves transcende le plateau. Elle fait corps avec l’air qui l’entoure et entraîne le spectateur dans un tourbillon de mouvements précis et virtuose. Port de tête altier, jambes ancrées au sol, elle se sert de ses bras pour adoucir chaque geste, les ancrer dans un style qui lui est propre, incandescent mais d’une délicatesse extrême.

Artiste unique, jouant avec les codes, elle n’hésite pas à casser le rythme pour multiplier les partitions chorégraphiques, quitte à dérouter. Dessinant au sol des lignes et des cercles à la craie, dont l’image est projetée sur les murs en pierre calcaire de la cour du Lycée Saint-Joseph, elle s’invente de nouvelles lignes de fuite et de nouveaux tracés qui guident ses pas. Se transformant à vue, perruque longue brune visée sur la tête, se maquillant en direct, elle se glisse dans la peau de tous ceux qui ont fait du flamenco cette danse enflammée et irradiante. 

Refusant le folklore, arpentant d’autres chemins par trop oubliés ou jamais empruntés, Yinka Esi Graves fait résonner longtemps dans la nuit les voix de ces artistes invisibilisés. Radieuse, ardente et exaltée, elle est l’une des révélations de cette édition 2024. Une artiste rare est née ! 


The Disappearing Act. d’Yinka Esi Graves
Festival d’Avignon
Cour du Lycée Saint-Joseph
Rue des Lices, 84000 Avignon
jusqu’au 21 juillet 2024
durée 1h

Tournée
24 et 25 août 2024 à l’International Festival Berlin Tanz im August (Allemagne) 
4 octobre 2024 à l’Universitat Jaume I de Castellón (Espagne)

Conception, mise en scène et chorégraphie Yinka Esi Graves 
Avec Yinka Esi Graves et Raúl Cantizano (guitare), Remi Graves (batterie), Rosa de Algeciras (chant) 
Musique de Raúl Cantizano 
Lumière de Carmen Mori
Son de Javier Mora
Vidéo de Miguel Ángel Rosales 
Costumes de Stéphanie Coudert 
Régie son
 d’Enrique Gonzalez 
Régie lumière deCarmen Mori 

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