Pierre Martot © Céline Nieszawer
© Céline Nieszawer
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Pierre Martot, jouer pour vivre

Le comédien signe la première version théâtrale de l’essai de Camus, "Le mythe de Sisyphe", reprise au Transversal, dans le Off d'Avignon.

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Le Cid de Pierre Corneille, étudié en classe de quatrième. Je levais le doigt pour répondre dès que le professeur posait une question. Je lui en posais plein moi-même. Quand j’y repense aujourd’hui, il n’y avait aucune raison à ce que je sois pris d’une telle passion pour le théâtre. Je n’y étais jamais allé avec mes parents, par exemple. Ce qui me passionnait, c’était les motivations des personnages. Cette histoire d’amour, cette question d’honneur, cet héroïsme, ça parlait profondément à l’adolescent que j’étais et qui avait un grand appétit de vivre.

Le mythe de Sisyphe - Camus - Martot © Marie-Hélène Le Ny
Le Mythe de Sisyphe © Marie-Hélène Le Ny

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Ariel Garcia Valdès dans Richard III, mis en scène par Georges Lavaudant dans la cour d’honneur en 1984. Je pense que tous ceux qui l’ont vu s’en souviennent. C’était merveilleux, littéralement : ce n’était pas réel. Il avait créé un personnage d’une grâce exceptionnelle malgré sa monstruosité, et même grâce à elle. Il jouait avec une poésie et une insolence sans limites, qui me soulageaient de cette normalité à laquelle je me sentais tenu dans la vie et qui me pesait. Le lendemain, au réveil, je décidais de devenir acteur.

Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien ?
Le besoin de jeu. J’avais fait des études de psycho. Toujours avec ce désir de comprendre. Évidemment, c’était passionnant. Mais, dès que je suis entré dans la vie active — j’ai exercé comme psychologue pendant un an après l’obtention de mon DESS de psychologie clinique — j’ai senti que quelque chose me manquait. J’ai compris plus tard que ce qui me manquait, c’était le jeu.

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
C’était La Noce chez les P’tits bourgeois de Brecht, avec la troupe amateur du Théâtre universitaire de Rouen. Le rôle du père que le metteur en scène avait artificiellement vieilli — cheveux blancs, etc. J’avais à peine plus de plus ans. Je ne savais rien de ce que peut être le théâtre, de sa fonction de miroir de la condition humaine, par exemple et, encore moins, de son rôle éventuellement politique. Je jouais avec la naïveté d’un enfant, qui est évidemment aussi au cœur du travail de l’acteur. Je ne me posais aucune question. Un plaisir total.

Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Ariel Garcia Valdès dans Richard III, je l’ai dit. J’aime aussi beaucoup le travail de Jean-Quentin Châtelain dans ses « seuls en scène » — Mars, Exécuteur 14, Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas, La lettre au père, Premier Amour, etc. Sur ce terrain du seul en scène, il est pour moi la référence absolue. J’y ai beaucoup pensé au début de mon travail sur Le Mythe de Sisyphe. Mais c’est une référence dont il faut aussi savoir se libérer quand on n’est pas soi-même Jean-Quentin Châtelain. La rencontre avec un rôle est avant tout une expérience intime dans laquelle il ne peut plus y avoir de référence. Au final, c’est le texte qui décide de tout et, en particulier, du « style de jeu » qui va finir par s’imposer.

Pierre Martot - La mère coupable © Cie Anima Motrix
« La Mère Coupable » de Beaumarchais, mis en scène par Laurent Hatat (2021) © Cie Anima Motrix

Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Jean-Claude Fall, évidemment, que j’ai rencontré quand il était directeur du Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis. C’est lui qui m’a fait prendre conscience de la façon dont ce métier m’engage en tant que personne, à la fois dans mon intimité, mais aussi comme témoin et acteur du monde et dans le monde. Sans cette rencontre, je ne sais pas quel acteur j’aurais été. En vérité, je ne sais même pas quelle vie j’aurais eue. Mais je suis sûr que j’aurais été « moins vivant ». Apprendre à jouer la comédie et apprendre à vivre, c’est la même chose au final. Il s’agit avant tout de trouver la voix dont on est porteur et de la faire entendre. Il n’y a que le décor qui change.

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Je ne me vois pas ne pas jouer. Je vois tout à travers le prisme du jeu d’acteur. Avec toujours cette question qui me taraude depuis l’adolescence : qu’est-ce qui motive les comportements ? Quel est le fondement de ce que je dis ?

Qu’est-ce qui vous inspire ?
Tout m’inspire car tout est source de réflexion et de jeu, et appelle à une représentation ! Par mes centres d’intérêt — ma formation de psy et mon travail d’acteur — je suis évidemment tourné vers l’intime. Mais on vit dans le monde, n’est-ce pas ? Et vu comme il marche, il est urgent d’écouter et de faire entendre ce que le théâtre nous apprend dans notre pratique de tous les jours. À savoir que, tout ce qui existe est source d’apprentissage. Que tout est à construire tout le temps, dans ce monde et avec ce que nous sommes. Et que nous n’avons d’autre choix que de faire ensemble. Ce qui paraît si évident, mais qui est en réalité si difficile à conquérir. Et un jour vient où la représentation s’achève et où le rideau tombe.

De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Il s’est beaucoup détendu ces derniers temps. Ce que j’ai compris, par exemple avec Le Mythe de Sisyphe, c’est que je n’étais pas sur scène pour le seul plaisir de comprendre. Mais, au contraire, de partager avec le public une expérience de vivre. Qui est avant tout une énigme ! Et que cette ignorance est justement ce qui fait de la vie une expérience bouleversante… Et la scène est, par excellence, le lieu où cette ignorance se met en commun. C’est ce qui fait du théâtre une expérience unique… L’enjeu principal avec toute l’œuvre de Camus — j’en suis arrivé après une trentaine de représentations — c’est de trouver avec le public ce que j’appellerais un point d’amitié. Ce point qui est le lieu de la rencontre entre deux intimités : celle du public et celle de l’acteur au travail. Le plaisir se trouve dans la mise en commun et le partage de ces intimités. Car le théâtre doit demeurer, selon moi, et avant tout, un lieu de plaisir.

Pierre Martot - Plus belle la vie © Fabien Malot
« Plus belle la vie » © Fabien Malot

À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Le désir de faire du théâtre, je le ressens dans tout mon corps, dans toute ma chair. C’est la raison pour laquelle je m’entretiens beaucoup physiquement. Un esprit sain dans un corps sain, c’est une des rares choses dont je suis tout à fait sûr.

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
J’aimerais beaucoup travailler avec Stanislas Nordey. Il travaille « à l’os », maintenant. Voyage dans l’Est de Christine Angot, que j’ai vu cette année aux Amandiers de Nanterre, c’était vraiment très fort. Dans la nouvelle génération, j’ai aussi beaucoup aimé cette année le travail de Sébastien Kheroufi sur Par les Villages de Peter Handke, vu au TQI. Ce qui est amusant, c’est que Jean-Claude Fall, Stanislas Nordey et Sébastien Kheroufi ont tous trois monté Par les Villages. C’est même son travail sur cette pièce qui m’a donné envie de rencontrer Jean-Claude.

À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Ça n’existe pas les projets fous. Ou plutôt, tous les projets basés sur une vraie volonté sont fous… Ce qui a déjà été fait n’est pas un projet… Ce qui est fou, c’est l’épure. Ce qui est bien rugueux m’intéresse aussi. Un projet fou, ce serait un projet où le théâtre serait égal à la vie. C’est évidemment impossible… Ce qui m’intéresse, au final, c’est la rencontre avec un texte et des gens qui m’apprennent quelque chose et/ou qui me font rire.

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
L’Iliade ou L’Odyssée, tant qu’à faire !


Le mythe de Sisyphe d’Albert Camus
Festival OFF Avignon
Théâtre Transversal
10 Rue Amphoux
84000 Avignon
Du 29 juin au 3 juillet 2024 à 13h, relâche les mardis.
Durée 1h05.

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