"Quichotte" de Gwenaël Morin © Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon

« Quichotte » de Gwenaël Morin : histoire de folies

Poursuivant son aventure avec le Festival d'Avignon, le metteur en scène expérimentateur s'empare librement du classique de Cervantès avec une distribution haut de gamme, dans une adaptation fragile.

« Salauds ! » Il a fallu que Jeanne Balibar donne quelques coups de marteau sur une table pour déclencher l’ire d’un voisin visiblement éreinté par la répétition, tous les soirs depuis le 1er juillet, de ce Quichotte déjanté. La tirade a duré, duré, à tel point que le public se demandait si elle ne faisait pas partie de la pièce elle-même, jusqu’à ce qu’une régisseuse vienne s’adresser solennellement au public. « Bande de malades mentaux ! » « Allez voir un psychologue ! » criait l’homme aux acteurs, visiblement décontenancés. Les insultes prenaient une vilaine résonance devant une distribution moins normée qu’ailleurs. Mais, ironiquement, elles touchaient une vérité : n’allait-on pas chercher précisément chez Gwenaël Morin une folie, une libération du sens ?

On avait encore en tête les souvenirs de l’adaptation du Songe d’une nuit d’été montée l’année dernière dans le même jardin de la rue de Mons. Les peaux qui s’affranchissaient des vêtements, les corps éperdus dans la terre, les intrications de la comédie shakespearienne guère élucidées. Si mistral souffle plus fort dans la cour d’honneur, le jardin de la Maison Jean Vilar, ainsi squatté par le Théâtre permanent de Gwenaël Morin, était le plus ouvert aux quatre vents, léger, libertaire. Une hallucination flanchante sous la voûte céleste dans la moiteur de juillet, le titre de Shakespeare pour programme.

"Quichotte" de Gwenaël Morin © Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

Autant le dire, ce Quichotte, choisi pour cette édition à dominante hispanophone, n’a pas la grâce ni la magie de l’opus précédent. Peut-être les insultes proférées aux acteurs par cette voix venue de l’autre côté du muret en début de spectacle ont-elles bridé l’énergie et l’esprit nécessaires à cette pièce qui n’a rien d’une exécution de partition de mise en scène. Aussi Jeanne Balibar en Quichotte, Thierry Dupont en Sancho Pansa et Marie-Noëlle en narrateur et en Rossinante ont beau donner dans tous les sens (les uns galopant de part et d’autre du jardin, l’autre décollant dans cesse de son récit pour s’enliser, avec une hilarante frivolité, dans telle anecdote), quelque chose finit par se perdre, par ne jamais monter, au risque de frôler la pénibilité.

Avec son nom qui entend détruire et reconstuire, le cycle « Démonter les remparts pour finir le pont », inauguré par ‌Le Songe et voué à se poursuivre l’année prochaine autour d’une œuvre du corpus en langue arabe, semble finalement chose bien fragile. Faire des qualités de ses défauts de fabrication est un exercice déraisonné, un jeu d’équilibriste fou. Ici, les fulgurances jaillissent — quand une action déraille pour devenir son propre principe performatif, quand çà et là, un moteur de jeu s’enclenche et s’emballe — puis s’en vont aussi vite. Et rien pour sublimer l’histoire de Quichotte, faire vraiment se rencontrer cette infernale machine théâtrale et le cœur du texte, même si la folie du cavalier Quichotte et celle du metteur en scène Morin ne devaient pas être étrangères.


Quichotte d’après Miguel de Cervantes
Festival d’Avignon
Jardin de la rue de Mons
Rue de Mons, 84000 Avignon

Adaptation, mise en scène et scénographie Gwenaël Morin
Lumière Philippe Gladieux
Assistanat à la mise en scène Léo Martin
Travail vocal Myriam Djemour
Costumes Elsa Depardieu
Régie générale et lumière Loïc Even
Régie plateau Jules Guittier
Production et diffusion Lison Bellanger, Emmanuelle Ossena, Charlotte Pesle Beal (Epoc productions) 

Avec Jeanne Balibar, Thierry Dupont, Marie-Noëlle, Léo Martin

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