Qui som ? sonne juste en ces temps compliqués. Qui sommes-nous, ici et maintenant ? That is the question. Dans les galeries qui mènent à la cour du lycée Saint-Joseph, d’intrigantes sculptures en céramique donnent le « la » délicates, complexes, fragiles. Sur la scène, un immense … « truc » noir dont on ne comprendra la fonction qu’à la fin du spectacle, moitié tumulus, moitié ovni qui laisse ses rubans flotter au vent. Des beaux vases en céramique blanche bordent le plateau. La folie peut commencer.
Des corps et des vases en poterie
Arrive une femme sobrement vêtue d’une chic robe noire, talons sobres, qui nous enjoint à couper nos portables et « si vous sentez que vous craquez, regardez autour de vous et vous allez voir. Voir qu’il y a des gens autour de vous. » Le ton est si drôle, si sérieux et presque gêné de devoir nous rappeler ces choses essentielles qu’on rit tout de suite. À l’autre bout, un grand bonhomme fait tomber un vase. Zut, que faire ? Cacher les débris, comme si c’était possible.
Mais oui tout est possible ici, pas de limites puisque le monde de l’esprit et de l’imagination s’ouvre tout grand, avec ce chœur qui s’installe devant l’ovni, groupe d’hommes et de femmes prêts à chanter. Presque, car quelque chose fait vaciller cette belle ordonnance et chacun se met à chavirer, imperceptiblement d’abord, puis de plus en plus, les pieds glissent sur une matière qui ressemble à du lait, les jambes s’affolent, les bras moulinent, ça tombe, ça se relève. Les beaux costumes noirs sont maculés de blanc sale. Mais tous se relèvent toujours pour s’accrocher aux autres, pour tenir debout.
Tenir debout, est-ce possible ? Oui, et ils le prouvent mais il faut en vouloir. Entre les créatures inspirées de la SF, dont les jambes jouent les prolongations, en talon bien sûr, qui avancent, gentiment menaçantes, celles qui surgissent du feuillage, les autres qui se disloquent, il y a une constante : le groupe. C’est d’ailleurs le sous-titre de « Qui som ? » : pièce de groupe. Un groupe grimé, courbé, haletant, qui n’en peut plus mais en veut encore. La danse lui imprime sa cohésion (on reconnait le talent de Maria Muñoz et Pep Ramis de Mal Pelo qui ont collaboré à la mise en scène). Ils avancent, marquent le rythme, soufflent fort, comme un clin d‘œil à May B de Maguy Marin, ou bien, à d’autres moments, certains s’enlacent et se jettent dans un corps à corps et c’est la solitude féroce telle que François Verret nous la faisait sentir lorsque la danse se savait jeune et contemporaine. L’époque a changé depuis le temps de ces chorégraphes qui ont marqué les années 80 et 90 mais la résistance aux contraintes des normes est toujours là.
L’art poétique du burlesque
Le burlesque sert de logique conductrice et le spectacle se structure fermement entre le sol et le ciel. L’apesanteur et la démesure font loi, défier les hauteurs, provoquer les chutes comme des gags et se traîner au sol parce que, même glissant, c’est un sacré partenaire. Du théâtre partout où c’est possible : donner la parole à la parole et le mouvement au corps. Et à la fin, du bonheur. Un bonheur qui se prolonge en fanfare une fois qu’on quitte la salle en suivant les artistes qui nous mènent dans une autre cour et nous enjoignent, dans une fête, à résister. Rien n’est impossible, disent-ils. On veut les croire. On veut y croire.
Qui som ? est le premier volet d’un triptyque. Les épisodes suivants se nomment : « Qui soc ? qui je suis, de quoi je suis fait, comment en suis-je arrivé là ? » et « On som ? Où sommes-nous ? ». Réponse aux prochains numéros. Baro d’evel, le nom de cette compagnie, qui réunit des espagnols, français, chinois… pourrait se traduire en langue manouche « Nom de Dieu ! » Un juron, mais aussi, selon la symbolique gitane, une façon de nommer tout ce qui dépasse l’homme.
Brigitte Hernandez
Qui som ? de Baro d’evel
Le spectacle sera diffusé en léger différé le 6 juillet sur ARTE et disponible sur arte.tv
Festival d’Avignon
Cour de Lycée Saint-Joseph
Rue des Lices
84000 Avignon
jusqu’a 10 juillet 2024
Durée 2h30
Tournée
19 et 20 juillet Théâtre romains de Lyon dans le cadre du Festival des Nuits de Fourvière
25 au 27 juillet 2024 au Festival GREC, Barcelone (ES)
02 au 04 août 20224 au Festival La Strada, Graz (AU)
26 et 28 septembre 2024 au Festival Romaeuropa, Rome (IT)
02 au 04 octobre 2024 au Théâtre 71, scène nationale de Malakoff en collaboration avec le Théâtre Châtillon Clamart et le Théâtre Les Gémeaux Scène nationale – Sceaux
11 au 13 octobre 2024 au Théâtre de Liège (BE)
31 octobre au 02 novembre 2024 aux Halles de Schaerbeek, Bruxelles (BE)
13 au 16 novembre 2024 à Tandem scène nationale, Douai
02 au 22 décembre 2024 au ThéâtredelaCité, Toulouse
10 au 12 Janvier 2025 au Parvis, scène nationale de Tarbes
22 janvier au 01 février 2025 à la MC93, Bobigny
18 au 22 février 2025 à la Comédie de Genève (CH)
18 au 21 mars 2025 au Théâtre Dijon-Bourgogne
27 et 28 maris 2025 au CDN de Rouen
01 et 02 avril 2025 au Volcan, scène nationale du Havre
24 et 25 avril 25 à Équinoxe, scène nationale de Châteauroux
06 au 09 mai 25 à la Scène nationale du Sud-Aquitain, Biarritz
14 et 15 mai 25 au Grand R, scène nationale de La Roche sur Yon
03 au 11 juin 2025 aux Célestins, théâtre de Lyon en collaboration avec le festival Utopiste et les Nuits de Fourvière
24 au 28 juin 2025 à la Scène nationale de l’Essone en partenariat avec le Théâtre Sénart
08 au 12 juillet 2025 au Centro cultural Belem, Lisbonne (PT)
15 au 20 juillet 2025 au Lavrar o mar (PT)
Conception et mise en scène de Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias
Avec Lucia Bocanegra, Noëmie Bouissou, Camille Decourtye, Miguel Fiol, Dimitri Jourde, Chen-Wei Lee, Rita Mateu Trias en alternance avec Amir Ziegler, Yolanda Sey, Julian Sicard, Marti Soler, Maria Caroline Vieira, Guillermo Weickert, Blaï Mateu Trias
Collaboration à la mise en scène – Maria Muñoz, Pep Ramis (Mal Pelo)
Collaboration à la dramaturgie – Barbara Métais-Chastanier
Collaboration musicale – Pierre-François Dufour
Scénographie et costumes – Lluc Castells
Lumière de María de la Cámara, Gabriel Pari
Son de Fanny Thollot
Recherche des matières et des couleurs – Benoît Bonnemaison-Fitte « Bonnefrite »
Céramiste – Sébastien De Groot