Ils débarquent sur le plateau vide comme des naufragés en terre vierge, avec aucun autre dessein que de faire tourner la bête machine humaine et ses pulsions primaires. Quatre clowns en habits de ville dont l’exploit consiste à remplir cet espace vierge, une chose amenant à une autre : une vieille semelle de chaussure, un micro, une poubelle, whatever, chaque item entraînant son désastre.
Mais qui sont ces gens ? Un peu personne, un peu tout le monde, le titre freudien charriant la parabole philosophique — et il est vrai qu’il est beaucoup question, ici, d’une analyse de la société par le prisme du ça, du moi et du surmoi. Comme le plateau était vide, il devient le théâtre des petites passions humaines, des bassesses et des vilénies, sujettes d’autant de gags qui électrisent la salle, certains très convaincants (notamment lorsqu’ils font d’une spectatrice le miroir de l’absurde).
Si la fuite en avant, à partir du rien vers la catastrophe, fait le jus du spectacle et constitute son principe poétique au-delà de l’humour absurde (qui trouve vite ses limites), on aurait aimé que celle-ci aille plus loin encore, qu’elle délivre vers d’autres images de la trempe de celle qui arrive à la fin du spectacle et voit le rideau en fond de scène chuter net pour dévoiler l’arrière-plan caché du spectacle. L’espace immense de la Patinoire, double fond inutilisé jusqu’alors, se révèle et sert de décor à une course-poursuite chaplinienne, le « malaise » laisse place à un petit vertige réjouissant.
La troupe de Québécois, menée par la metteuse en scène Alix Dufresne sur un texte volontairement économe d’Étienne Lepage, mène son radeau avec engagement et énergie, même si la direction est celle du naufrage. Derrière la blague, la lecture est libre. Une inflexion de pensée peut alors transformer la satire tendre de nos ambiguïtés morales en une peinture cruelle de l’homme comme machine à détruire tous les territoires vides sur lesquels il met le pied.
Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Avignon
Malaise dans la civilisation d’Alix Dufresne et Étienne Lepage
Festival Off Avignon
La Manufacture
2 rue des Écoles, 84000 Avignon
Du 4 au 21 juillet 2024
Durée 1h
Tournée
Le 13 novembre CINARS (Montréal)
Tournée 2025-2026 en construction
Mise en scène Alix Dufresne et Étienne Lepage
Texte Étienne Lepage
Cocréation Florence Blain Mbaye, Maxime Genois, Renaud Lacelle-Bourdon et Alice Moreault
Scénographie et costumes Odile Gamache
Lumières Leticia Hamaoui
Musique Robert Marcel Lepage
Direction technique, assistance à la conception d’éclairage et régie Ariane Roy
Interprétation Rose-Anne Déry, Maxime Genois, Renaud Lacelle-Bourdon, Alice Moreault
