Ezra a vingt-six ans. Il enseigne les maths à des classes préparatoires dans un lycée parisien. Nonchalant, un brin désabusé mais croyant dur comme fer aux Chaînes de Markov, définies dès les premières pages comme « un processus mathématique permettant de modéliser des scénarios futurs à partir de l’observation du présent », il est persuadé que les liens entre les êtres, quelle que soit leur nature — amicale, amoureuse, professionnelle, etc. — obéissent à cette loi de probabilité implacable. Ce système de prédiction utilisé notamment en météorologie, il l’applique à sa propre vie et tout particulièrement à l’histoire d’amour qu’il entame avec la jolie mais très mélancolique Ève, prof de français dans le même établissement.
Descendante d’une vieille famille noble de Besançon, elle est tout son contraire. Lui est un pur produit de la méritocratie. Fils de juifs ashkénazes de Montpellier qui n’ont gardé de la religion que le folklore, il aime les choses simples, la randonnée, les week-ends à Fécamp. Enfermée dans ses stéréotypes de classe, elle veut de l’extraordinaire, sortir à tout prix de la routine qui gangrène le couple. Entre eux, c’est tout aussi explosif que voué à l’échec. Les Chaînes de Markov vont-elles permettre à notre anti-héros de déjouer les prédictions ou au contraire de découvrir les fils qui mèneront à la rupture qui semble inéluctable ?
Écrit comme une tragi-comédie, ce premier roman se lit avec délectation tant l’auteur s’amuse à déjouer la banalité du quotidien de ce récit tout tracé. Passant du sarcasme à l’abattement, de la fantaisie joyeuse à un réalisme noir, Noham Selcer a la plume séductrice et charmeuse. D’un dîner dans un restaurant parisien de flammekueche à une balade triste à Carentan, des arcanes du pouvoir à une nuit dans une grotte héraultaise, il déplace le regard, maniant habillement l’autodérision, quitte à ébranler avec une certaine jubilation les certitudes de son narrateur. Galerie de portraits singulièrement savoureuse, descriptions ciselées, l’ancien mathématicien, sorti de l’École du Nord en 2021, fait une entrée très prometteuse dans le monde de la littérature française.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Les chaînes de Markov de Noham Selcer
Collection Blanche, Gallimard
304 pages
prix conseillé 21,50 €, numérique 16 €