Elisabeth Bouchaud & Sabine Dacalor © DR
Elisabeth Bouchaud & Sabine Dacalor © DR
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La Reine Blanche fait son Avignon 

Installée à quelques encablures du Palais des Papes depuis 2019, la succursale de la scène parisienne des arts et des sciences présente chaque année une sélection de spectacles en lien avec leur programmation parisienne, rencontre avec Élisabeth Bouchaud, directrice du théâtre, et Sabine Dacalor, directrice artistique adjointe. 

Élisabeth Bouchaud : Avignon est le rendez-vous incontournable du spectacle vivant. Il nous semblait que montrer un certain nombre de nos productions pendant le Festival Off était un moyen de les rendre visibles pour le public, et de leur donner un coup de pouce pour leur diffusion. Louer des salles pour présenter nos spectacles est extrêmement onéreux, nous limitons en quelque sorte notre risque financier avec notre propre salle depuis 2019. Cela nous assure également une meilleure visibilité.

Sabine Dacalor : Avignon-Reine Blanche nous permet d’asseoir la réputation de La Reine Blanche à Paris. C’est primordial pour nous de présenter à Avignon, outre nos productions, des spectacles que nous avons défendus au cours de notre saison parisienne, pour lesquels nous avons un vrai coup de cœur.

L'affaire Rosalind Franklin - Elisabeth Bouchaud © Pascal Gély
L’affaire Rosalind Franklin d’Élisabeth Bouchaud, mise en scène de Julie Timmerman © Pascal Gély

Élisabeth Bouchaud : Cela a permis de faire connaître La Reine Blanche dans toute sa diversité ainsi que sa ligne artistique affirmée. D’ailleurs, d’année en année, la fréquentation augmente. Nous attirons ici autant le public que les professionnels. Il semblerait que notre lieu commence à être davantage repéré. 

Sabine Dacalor : L’an passé surtout, nous avons eu pas mal d’échos de spectateur.ice.s nous disant revenir – deux ou trois fois au cours de leur séjour – car iels avaient apprécié les pièces et la ligne artistique. Quand on sait que le temps présent à Avignon est de plus en plus réduit, c’est un bon indicateur. 

Élisabeth Bouchaud : Elle s’articule essentiellement autour de nos productions. À Avignon-Reine Blanche, nous avons sept créneaux. Cette année, cinq d’entre eux sont consacrés à des pièces que nous produisons. Il y a les trois pièces que j’ai écrites et qui font partie de la série Les Fabuleuses, et les deux premiers volets de la trilogie de Mickaël Délis. Pour les deux créneaux restants, nous avons fait le choix de mettre en avant deux pièces qui sont passées cette année dans l’une des deux salles parisiennes de La Reine Blanche Paris : Ce qu’il faut dire de Léonora Miano, mis en scène par Catherine Vrignaud-Cohen, et Les Biches ne brament pas au clair de lune de et avec Félicité Chaton. 

Sabine Dacalor : Nous sommes heureuses de pouvoir présenter ces spectacles, de leur offrir une autre visibilité que celle de Paris. C’est également important pour nous de nouer des fidélités et de les entretenir. Nous sommes très attachées à la notion d’accompagnement d’artistes.

La fête du slip - Mickaël Délys © Marie Charbonnier
La fête du slip de Mickaël Délyis © Marie Charbonnier

Élisabeth Bouchaud : Pas cette année. Il était plus important pour nous de présenter des spectacles qui n’avaient pas encore eu une visibilité suffisante. Mais c’est arrivé. Quand on a ouvert en 2019, nous avons accueilli la création de Florient Azoulay et Xavier Gallais, Le Fantôme D’Aziyadéd’après Loti.Pièce qui a eu une belle vie, hors de nos murs, au Lucernaire notamment. 

Sabine Dacalor : Nous avons réfléchi avec Elisabeth à la question de la création à Avignon. Dans le contexte actuel, cela nous semble plutôt périlleux. Parce que cela implique d’organiser une avant-première parisienne afin d’arriver à Avignon avec déjà quelques articles. Parce que nous devons gérer la fin de notre saison à Paris et notre équipe ne peut pas se démultiplier. 

Élisabeth Bouchaud : Et parce qu’en tant que théâtre indépendant à Paris, nous avons droit au fonds de soutien du théâtre privé, ce qui nous permet de minimiser les risques. À Avignon ce n’est pas le cas. Nous n’avons aucun filet de sécurité. 

Élisabeth Bouchaud : Étant scientifique moi-même, j’ai à cœur de mettre en lumière certaines de mes consœurs restées dans l’ombre le plus souvent de leur mari ou de leurs collègues masculins. Et puis, dans notre pays, les moins de trente ans ont tendance à penser que la science apporte plus de mal que de bien. C’est donc pour moi important et nécessaire d’inverser ce phénomène et de montrer qu’au contraire la science est source d’espoir et permet de combattre les idées reçues, les complotismes. Il y a dans ma démarche, quelque chose qui relève de la nécessité citoyenne. Si mon cœur tend vers les sciences dures, j’aime aussi mettre en avant dans ma programmation les sciences humaines et les sciences sociales. D’ailleurs les deux pièces de Mickaël Délis, démontent avec une belle verve les mécanismes de la virilité, de la construction du mâle. 

Prix No'Bell -d'Élisabeth Bouchaud © Pascal Gély
Prix No’Bell d’Élisabeth Bouchaud, Mise en scène de Marie Steen © Pascal Gély

Élisabeth Bouchaud : J’écris depuis longtemps, bien avant d’avoir mon propre théâtre. Ma première pièce date de 1991. C’était une variation autour des Liaisons dangereuses, qui d’ailleurs n’a jamais été montée. J’aime beaucoup citer au sujet de l’écriture, Amos Oz, romancier israélien, grand militant pour la paix, qui disait dans un entretien : « Quand j’ai une idée bien précise sur quelque chose, j’écris un article dans un journal et quand j’ai plusieurs idées contradictoires sur une chose, j’écris un roman. » C’est un peu cela qui m’a donné envie d’écrire : me confronter à mes contradictions internes ! ces portraits de femmes. Trois de mes pièces sur des femmes scientifiques sont présentées cet été à Avignon. Le quatrième est écrite et devrait voir le jour à Paris en saison 25-26. 

Élisabeth Bouchaud : Chaque pièce correspond à l’histoire d’une femme. Elles ont toutes vécu à des époques, dans des pays et des contextes très différents. Mais si l’on regarde de plus près, toutes sont restées dans l’ombre des hommes, sans la possibilité de se défendre, de se battre sans passer pour des hystériques, des folles. Ce n’était pas la place des femmes que d’inventer ou de découvrir. Lise Meitner est une physicienne autrichienne d’origine juive qui vivait en 1938 à Berlin. Jocelyn Bell était étudiante, donc on n’allait quand même pas lui remettre un prix Nobel. Et Rosalind Franklin est morte avant que son travail ne soit reconnu. On peut toujours trouver des raisons pour lesquelles ces femmes ont été écartées de l’histoire. Mais en fait, si on se place plus loin en regardant la série, on se rend compte que c’est un système patriarcal qui, systématiquement, les éloigne de la lumière. C’était donc vital d’enfin leur donner la place qu’elles méritent.


Théâtre de la Reine Blanche – Avignon
Festival off Avignon
16 Rue de la Grande Fusterie
84000 Avignon
jusqu’au 21 juillet 2024

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