"La Gaviota" de Chela de Ferrari © Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon

« La Gaviota » de Chela de Ferrari : ce qui est et ce qui pourrait être

La metteuse en scène péruvienne réunit des acteurs dans différentes situations de cécité autour d'une adaptation de "La Mouette" parfois convenue, mais néanmoins émouvante.

On se dit d’abord qu’il est un peu lourd, ce décor vieillot, ramassis de meubles anciens censés incarner très littéralement la maison bourgeoise où se retrouvent la grande actrice Arkadina (Lola Robles), son compagnon, l’écrivain Trigorine (Agus Ruiz), Kostia (Eduart Mediterrani), Nina (Belén González del Amo) et leur microcosme. Mais surprise, le tapis, les fauteuils capitonnés et le secrétaire en acajou sont dégagés dès les premières minutes du spectacle. Il ne reste qu’un plateau vide, qui met sur un pied d’égalité les interprètes non-voyants, malvoyants et voyants, en substituant le souvenir de l’image à l’image elle-même.

La Péruvienne Chela de Ferrari se faisait remarquer il y a un an partout en Europe avec un génial Hamlet mettant en scène des acteurs atteints du syndrome de Down, superposant à la pièce de Shakespeare un discours de ces acteurs atypiques sur la vie. La Gaviota, adaptation libre de La Mouette, poursuit ce travail avec des acteurs handicapés, atteints cette fois de cécité partielle ou totale.

"La Gaviota" de Chela de Ferrari © Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

Créée au Centro dramatico nacional d’Espagne, mais nourrie par un travail avec les comédiens mal- et non-voyants de la compagnie SinVERgüenza, La Gaviota avance sur une ligne de crête, cherchant (et parvenant) à normaliser la présence de ces comédiens sur le plateau, mais visant aussi, çà et là, à faire résonner cette condition physique avec le projet théâtral lui-même. Une régisseuse attachante (Macarena Sanz), à travers le quatrième mur, annonce d’emblée l’intention : rendre visible l’invisible.

L’image de début, parlante, réalise la moitié du vœu formulé dans La Mouette par le jeune dramaturge Kostia, lequel appelle à se débarrasser des modèles d’antan pour aller vers les formes nouvelles, non sans se fâcher avec sa mère, actrice des dorures. Mais une fois ce décor de vieux théâtre débarrassé des planches, rien ne suffère que cette vélléité avant-gardiste soit exaucée. Certes, elle n’a pas valeur de consigne de mise en scène. Mais on peut regretter que le spectacle, pour sa plus grande part, repose sur des ressorts assez conventionnels du théâtre contemporain — avant de trouver davantage de nerf conceptuel sur sa dernière partie, quand Kostia, justement, prend les rênes.

"La Gaviota" de Chela de Ferrari © Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon
© Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

C’est à l’endroit des qualités de jeu que le spectacle s’avère le plus convaincant : la cécité induit une différence, à proprement parler, subtile et fragile, dans l’approche des comédiens. Et elle transmet au spectateur la compréhension d’une dimension centrale de la pièce : la dissociation entre ce qui est et ce qui pourrait être, l’actualisé et le sous-jacent, charriée par les destins contrariés de personnages dont les vies échouent à s’aligner sur les contours de leurs désirs.

Une grande tendresse caractérise en outre le travail de Chela de Ferrari, qui évite toute grandiloquence mais aussi tout misérabilisme, et semble presque revendiquer de fonctionner sur ce mode mineur. Ce faisant, une forme d’émotion travaille discrètement, souterrainement, et les personnages mélancoliques de cette Gaviota finissent, sans qu’on l’ait vraiment vu venir, par nous toucher au cœur.


La Gaviota d’après Tchekhov
Festival d’Avignon
L’Autre Scène du Grand Avignon – Vedène
Av. Pierre de Coubertin, 84270 Vedène
Du 15 au 21 juillet 2024
Durée 1h50

Tournée
Du 9 octobre au 10 novembre 2024 Teatro Valle-Inclán, Sala Francisco Nieva (Madrid, Espagne)

Adaptation et mise en scène Chela De Ferrari
Collaboration à la dramaturgie Luis Alberto León, Melanie Werder
Musique originale et espace sonore Nacho Bilbao
Son Kike Calvo
Chorégraphie Amaya Galeote
Scénographie Alessio Meloni
Lumière David Picazo
Vidéo Emilio Valenzuela
Costumes Anna Tusell
Conseil en accessibilité Lola Robles
Assistanat à la mise en scène Adrián Saba
Assistanat à la scénographie Mauro Coll
Assistanat aux costumes David de Gea
Soutien à l’inclusion Mónica Arenas, Sandra Gamero
Réalisation des costumes Gabriel Besa, Eleni Chaidemenaki, Matías Zanotti
Location des costumes Peris Costume

Avec Patty Bonnet (Mascha) Paloma de Mingo (Polina) Miguel Escabias (Eugenio) Emilio Gálvez (Elías) Belén González del Amo (Nina) Antonio Lancis (Peter) Domingo López (Semión) Eduart Mediterrani (Konstantín) Lola Robles (Arkadina) Agus Ruiz (Boris) Macarena Sanz (Alicia) et Nacho Bilbao (musicien) et Nacho Bilbao (musicien)

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