Juana ficción de La Ribot © Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage
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« Juana ficción », la petite folie de La Ribot

Dans le cloître des Célestins, à Avignon, l’artiste helvético-espagnole lâche la bride aux conventions scéniques et propose une variation performative, hallucinée autant qu’hallucinante, autour de la vie de Jeanne de Castille. 

Un vent souffle dans la cour du cloître. Le son amplifié par la sono et les baffles annoncent une tempête au cœur de cet écrin de terre et de pierre. Des instruments, des pupitres sont installés face au public. Un à un, les musiciens s’installent. Tous portent au-dessus de leur costume une traîne ou une cape en tulle rose transparent. Arrive enfin le chef d’orchestre, Asier Puga, lunettes de soleil genre surfeur, costume en gaze grise translucide. La performance peut commencer. 

Juana ficción de La Ribot © Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

Puisant dans les œuvres de Juan del Encina, Antonio de Cabezón ou Cristóbal de Morales, compositeurs qui ont marqué l’âge d’or espagnol, ainsi que dans le recueil de chansons qui a été offert en cadeau à Jeanne de Castille lors de son mariage avec Philippe le Beau, Iñaki Estrada s’amuse à les revisiter, à les rendre punks autant que dissonantes ou grinçantes. Des bruits de bouche, de métal ou de tissu que l’on frotte, que l’on frappe, envahissent la cour du cloître et la transforment en une prison mentale d’où il est bien difficile de s’échapper. 

Courant pour fuir son geôlier (Juan Loriente) ou cherchant au contraire à le rattraper pour se confronter à son imposante silhouette, Jeanne, ou du moins à son évocation, elle s’abandonne à son sort, se laisse manipuler telle une marionnette. Reine dont le trône a été ravi par son père, son mari et son fils, elle erre dans un monde parallèle, un monde aride où seule la musique et une forme de poésie excentrique lui tiennent lieu de compagnie. Résignée ou révoltée, enfantine ou mutine, elle se livre corps et âme. Sur scène et sur nos téléphones dans une vidéo tournée il y a une vingtaine d’années, La Ribot s’expose sublime, intense, baroque, extravagante.

Jouant autant des formes que des images, la performeuse espagnole, qui recrée ici un spectacle imaginé en itinérance, contraint l’espace et le spectateur, édicte sa loi d’une beauté énigmatique, qu’il faut aller chercher dans les recoins de ce cloître désacralisé, derrière les arbres, dans le bruit des oiseaux qui tournoient et piaillent au-dessus du public. Puis vient le temps du grand effacement, de l’invisibilisation. La reine a chu. Elle n’est plus que ce corps allongé au sol. Armé d’un pinceau, d’un pot de peinture noire, son cerbère, avec une délicatesse folle, la fait disparaître dans l’obscurité de l’histoire. Chair, terre, pierre se confondent. Le manteau sombre de la nuit recouvre la scène. 

C’est la fin ou le début, à chacun de se faire un récit. Celui d’une artiste inclassable qui manie l’art de l’illusion avec virtuosité ou celui d’une femme broyée par les hommes qui, enfin, après plus de 500 ans, se voit réhabilitée ; et celui de nous, spectateurs, dans notre capacité à voir le mystère et l’incongru derrière l’impénétrable. Le merveilleux, le sublime n’a pas besoin d’être compris, il est, tout simplement ! 


Juana ficción de La Ribot
Festival d’Avignon
Cloître des Célestins
Place des corps saints
84000 Avignon
du 3 au 7 juillet 2024
durée 1h15

Tournée
05 et 08 septembre 2024 à La Bâtie Festival de Genève, Suisse 
13 et 14 septembre 2024 à Condeduque, Madrid, Espagne

Conception de La Ribot & Asier Puga 
Chorégraphie et mise en scène de La Ribot 
Avec La Ribot, Juan Loriente 
et Emilio Ferrando (clarinette), Fernando Gómez (flûte), Xavier Olivar (alto), Joan Germán Oliveros (saxophone), Víctor Parra (violon), Juan Carlos Segura (synthétiseur), Zsolt G. Tottzer (violoncelle), le chœur polyphonique Schola Cantorum Paradisi Portae
: Marcos Castrillo Sampedro (ténor), Alberto Cebolla Royo (baryton), Rubén Larrea Perálvarez (alto), Alberto Palacios Guardia (ténor)
Dramaturgie de Jaime Conde Salazar 
Direction musicale d’Asier Puga 
Musique originale d’Iñaki Estrada 
Musique d’Alexander Agricola, Álvaro Martín, Johannes Ockeghem, Josquin des Prés, Pierre de la Rue   
Son d’Álvaro Martín 
Lumière d’Eric Wurtz 
Création des costumes d’Elvira Grau
Confection des costumes – Elvira Grau, Marion Schmid
Consultation en musicologie – Alberto Cebolla 
Arrangements, composition originale et musique électronique – Iñaki Estrada
Espace sonore et musique électronique – Álvaro Martín 

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