Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Mon premier choc d’art vivant est le concert que Prince a fait à Bercy en juillet 1992. J’ai été ébloui par son charisme, son énergie et par la communion qui régnait dans l’assistance. Pour ce qui est du théâtre, en dehors des quelques spectacles que j’ai été voir avec l’école durant ma scolarité, je n’ai commencé à aller au théâtre « de mon plein gré » qu’à l’âge de vingt ans, quand j’ai commencé à en faire moi-même. Jusqu’alors, j’étais très éloigné du théâtre, je ne me sentais pas concerné. J’étais en revanche féru d’évènements sportifs, de concerts et de cinéma.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
J’ai été un adolescent perdu, comme beaucoup. Ayant grandi à Colombes, j’ai fréquenté assidûment le Racing club de France. Je faisais de l’athlétisme, du saut à la perche surtout. J’étais entraîné par Jean-Claude Perrin. Quand mes rêves de haut niveau se sont évaporés, je ne savais pas du tout où me diriger. Étant très cinéphile, je me suis inscrit dans une école de théâtre, un peu par hasard. Peut-être parce qu’être acteur, cela ne me semblait pas si difficile ? Peut-être pour rencontrer des gens de ma génération aussi perdus que moi ? J’y ai fait des rencontres décisives avec des élèves, des professeurs et des auteurs. Et j’ai muté.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien et metteur en scène ?
En étant dans une école de théâtre, j’ai pris conscience qu’il y avait beaucoup de similitudes entre le travail de l’acteur et celui du sportif ou du musicien – la question du souffle. Parce que j’y suis particulièrement sensible, le souffle a été pour moi une clé de compréhension physique du théâtre et des textes, avant d’être une compréhension intellectuelle. Être dans une école m’a aussi permis de bousculer mes idées reçues et mes a priori : le théâtre n’était pas une seule chose, il n’y avait pas un théâtre, il y avait des théâtres, je pouvais chercher le mien. C’était un mode d’expression, un endroit où l’on prenait la parole. Cela ouvrait des perspectives complètement nouvelles et exaltantes pour moi. Au sortir de l’école de théâtre, j’ai créé la compagnie des Dramaticules, entouré de camarades de ma génération avec lesquels j’avais des affinités. J’en suis devenu le metteur en scène parce que j’étais passionné par la direction d’acteurs et que je voulais pouvoir jouer dans des spectacles dans lesquels j’assumerais tout.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
C’était Elle de Jean Genet en 1999 mis en scène par Valéry Warnotte. Je jouais le rôle du photographe. C’était une reprise de rôle et la marge de liberté n’était pas grande. C’était frustrant car j’avais l’impression de ne pas réussir à donner autant que je l’aurais voulu.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
J’en citerai trois parce qu’un seul, c’est trop difficile ! Genesi mis en scène par Romeo Castellucci que j’ai vu à l’Odéon en 2000, Mnemonic mis en scène par Simon McBurney que j’ai vu à la MC93 en 2002 et L’Idiot de Vincent Macaigne que j’ai vu au Théâtre de la Ville en 2014. J’ai conscience que ces trois spectacles sont extrêmement différents mais dans chacun d’eux, j’ai été frappé par l’intelligence, la Maîtrise de tous les outils du plateau, l’imbrication totale de la lumière, du son, de la scénographie, de l’interprétation… À chaque fois, c’était comme un seul geste. De ces trois spectacles, j’en suis sorti émerveillé et un peu jaloux aussi… Ce sont des grands moments de ma vie. Parmi les acteurs que j’ai pu voir sur scène, Serge Merlin, Michel Fau et Pascal Rénéric m’ont notamment impressionné. Mon plus grand regret est de ne pas avoir pu voir Carmelo Bene dans les années 1970. C’est, encore aujourd’hui, mon acteur préféré.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Les personnes avec lesquelles je travaille toute l’année, dont pour certains, la fidélité remonte à la création des Dramaticules en 2002 : Pierre-Antoine Billon, Julien Buchy, Thomas Chrétien, Anthony Courret, Jonathan Frajenberg, Isabelle Granier, Noémie Guedj, Dominique Massat, Théo Pombet et Blandine Vieillot. Au-delà du professionnel, ce sont des histoires de vie. Dans chacun de nos spectacles, on met énormément de nous-mêmes et de notre histoire commune. C’est un groupe incroyable.
En quoi votre métier de metteur en scène et d’acteur est essentiel à votre équilibre ?
Il n’y a pas d’espace de liberté équivalent à celui de la scène et de ce fait, il n’y a pas d’endroit où je me sens aussi libre… Même si, paradoxalement, en tant que metteur en scène, c’est aussi l’endroit où je nous invente mille contraintes impossibles. Sans doute pour être plus libre encore. Et puis je ressens de la joie à donner, à être connecté, à provoquer cette tension scène/salle qui nous aide à nous sentir vivants.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Les grands formalistes. Les gens avec une éthique. Ceux qui travaillent beaucoup. Mais aussi ceux qui jouent leur vie, dans le sport, dans le cinéma, dans la littérature, sur scène. Ceux qui vont sur la brèche avec une ferveur et un engagement qui n’altèrent pas leur sens de la dérision.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Sacré et sacrilège.
À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Dans mes désirs et dans mes peurs, dans mes colères et dans mes élans, c’est toujours pour moi une question respiratoire. Je dirais donc : le ventre.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Au théâtre, Camille Boitel, Yann Frisch, Vincent Macaigne… Au cinéma, Ruben Östlund, Robert Eggers, Ari Aster, David Lynch, Alejandro Jodorowsky…
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
La saison 4 de la série Twin Peaks, avec tous les épisodes écrits et réalisés par David Lynch bien sûr !
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Le film Synecdoche, New York de Charlie Kaufman : c’est l’histoire d’un metteur en scène qui veut créer un spectacle qui raconterait le monde. Il entreprend les répétitions de cette création collective, en perpétuelle expansion dans l’espace et dans le temps. Ce spectacle, aux répétitions infinies et sans date de création, finit par devenir sa vie.
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
La montagne cachée d’après le roman Le mont Analogue de René Daumal
Festival Off Avignon
11 – Avignon
11 boulevard Raspail
84000 Avignon
Du 2 au 21 juillet 2024 à 22h25, relâche les lundis
Durée 1h30
Affabulations, création collective des Dramaticules, avec l’aimable autorisation de Jean de La Fontaine
Festival Off Avignon
Théâtre des Béliers
53 rue du Portail Magnanen
84000 Avignon
Du 3 au 21 juillet à 17h40, relâche les lundis
Durée 1h