Hécube pas Hécube de Tiago Rodrigues © Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage
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« Hécube, pas Hécube », l’amour absolu d’une mère 

Carrière Boulbon, Tiago Rogrigues s’empare de la pièce d’Euripide et l’ancre dans le temps présent en la faisant résonner avec un drame d’aujourd’hui, celui d’une mère face à la maltraitance de son enfant. 

Le lieu est sublime. Des arbres, de la pierre calcaire presque jaune, rien de moins ou de plus qu’une nature sculptée par l’homme, pour servir d’écrin à la nouvelle création de Tiago Rodrigues. Sur une scène faite de terre et de cailloux, la troupe du Français, se prépare, s’échauffe comme si le public n’était pas là. Parfois les uns tentent un regard, les autres sourient. Imperceptiblement, le spectacle a déjà commencé. Nous sommes au premier jour des répétitions. Dans un mois, les trois comédiennes et les quatre comédiens joueront Hécube d’Euripide. Les rôles sont distribués, le reste est l’avenant. D’ailleurs, y a-t-il un metteur en scène ? 

Hécube pas Hécube de Tiago Rodrigues © Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

Assis autour d’une table, texte en main, les artistes prennent possession de leurs rôles. Du coryphée au chœur, en passant par les personnages principaux, chacun prend en bouche les mots du dramaturge grec, mais déjà les premières interrogations affleurent. Quid du décor ? Faut-il garder les remarques sexistes et racistes ? Quelles intonations donner à telle ou telle réplique ? Par où entrer sur scène, à cour, à jardin ? Et puis l’horloge tourne. Le quotidien s’invite au cœur du processus créatif. Nadia (rayonnante Elsa Lepoivre), qui joue Hécube, est inquiète. Elle aimerait que le temps s’accélère. Elle doit absolument partir, sinon elle va rater un rendez-vous capital pour elle et sa famille.  

Les lumières sont plus vives, plus crues, moins chaudes. Le réel prend le pas sur la fiction. C’est au tribunal que l’on retrouve la comédienne. Soutenue par son avocate, l’épatante Séphora Pondi, elle fait face à un procureur de la République (Denis Podalydès, excellent), qui doit valider ou non la plainte qu’elle vient de déposer pour maltraitance contre le foyer à qui elle avait confié, sur le conseil du corps médical, Otis, son fils autiste. 

Hécube pas Hécube de Tiago Rodrigues © Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

Entremêlant les fils réels et fictifs avec virtuosité, Tiago Rodrigues s’amuse à tisser le récit d’un drame d’aujourd’hui et le faire résonner avec celui d’hier, celui d’Hécube, reine de Troie devenue esclave, mère comblée qui voit, l’un après l’autre, ses fils et ses filles arrachés à la vie. Le parallèle avec le drame intime que vit Nadia s’invite au tribunal. Passant d’un personnage à l’autre, Elsa Lepoivre transcende ces deux mères qui réclament justice pour leur enfant. Elle vibre de tout son être. L’émotion à fleur de peau, elle rit des petits plaisirs de la vie que son fils si différent et si extraordinaire lui apporte. Les larmes lui viennent quand il s’agit d’évoquer ses petits bobos. Elle devient louve, chienne quand on lui fait du mal. 

En mettant en lumière cette tragédie humaine — celle d’un état défaillant, d’un corps encadrant dépassé, d’une violence banale liée autant au fait d’être mal formé qu’incompétent —, l’auteur et metteur en scène, directeur du festival, ne cherche pas le pathos mais bien à dénoncer une carence, une brutalité administrative. S’appuyant sur des faits réels et dosant à merveille humour, légèreté, noirceur et drame, il imagine une fable noire, où le rire vient adoucir les sanglots. Et les petits tracas, les petites irritations, les fatigues de l’existence, lui donnent tout son sel. 

Entourée par une troupe à l’unisson — Éric Génovèse, Denis Podalydès, Loïc Corbery, Gaël Kamilindi, Élissa Alloula, Séphora Pondi —, Elsa Lepoivre est d’une rare intensité. Elle touche en plein cœur et nous emporte au bout de la nuit, au bout de la vie. Hécube, pas Hécube c’est du beau et grand théâtre, populaire dans le sens éclairé du terme. Bouleversant, drôle, sensible. Bravo !  


Hécube, pas Hécube de Tiago Rodrigues d’après l’œuvre d’Euripide
Festival d’Avignon
Carrière de Boulbon
13150 Boulbon
Du 30 juin au 16 juillet 2024
Durée 2h 

Tournée
26 et 27 juillet 20224 à Épidaure festival d’athènes et d’épidaure, Gréce
11 et 12 septembre 202424  à Pilsen Divadlo International Theatre Festival, République tchèque
20 et 21 septembre 2024 au Bratislava snd théâtre national, Slovaquie
26 et 27 Septembre 2024 au Belgrade bitef festival, Serbie
07 et 08 octobre 2024 à Ljubljana cankarjev dom, Slovénie
18 et 19 octobre 2024 au Bucarest festival national de théâtre, Roumanie
 02 et 03 novembre 2024 au Istanbul festival iksv, Turquie
15 au 23 novembre 2024  au ThéâtredelaCité, Toulouse, France
28 novembre au 1er décembre 2024 à la Comédie de Genève, Suisse
06 et 07 décembre 2024 à l’Anthéa d’Antibes, France
03 au 05 janvier 2025 au Teatros del canal, Madrid, Espagne
09 au 11 janvier 2025 au Centre culturel de Belem, Lisbonne, Portugal
17 et 18 janvier 2025 au Anvers desingel, Belgique
23 au 25 janvier 2025 aux théâtres de la ville de Luxembourg
29 et 30 janvier 2025 à La Coursive, La Rochelle, France
28 mai au 25 juillet 2025 à la Comédie-française, Paris, France

mise en scène de Tiago Rodrigues
Avec les interprètes de la Comédie-Française : Éric Génovèse, Denis Podalydès, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery, Gaël Kamilindi, Élissa Alloula, Séphora Pondi 
Traduction de Thomas Resendes 
Scénographie de Fernando Ribeiro 
Costumes de José António Tenente 
Lumière de Rui Monteiro 
Musique et son de Pedro Costa 
Collaboration artistique – Sophie Bricaire

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