Les cigales chantent, le soleil brille, les nuages ne font qu’une apparition fantomatique dans le ciel. Alba-la-Romaine a sorti ses plus beaux atours pour accueillir la 15e édition du festival de Cirque organisé par la Cascade, structure nationale basée à Bourg-Saint-Andéol et dirigé par Alain Reynaud. Durant six jours, treize compagnies se produisent pour le plus grand plaisir des petits et des grands, des amateurs et des néophytes. Au programme du 10 juillet, du spectaculaire, de l’émouvant, de l’extraordinaire.
L’amour de la nature
Au Carbunica, cœur palpitant du festival, l’Américaine Abby Neuberger et l’Italien Luca Bernini du collectif Keep Company proposent une plongée dans l’infiniment petit afin de mieux comprendre les enjeux écologiques du temps présent. Vêtus de leur plus beau costume, le couple passe en un clin d’œil de leur lit nuptial à celui de leur mort. À la manière des gisants des rois de France que l’on peut admirer à la Basilique de Saint-Denis, allongés, les mains jointes, immobiles, ils disparaissent derrière un drap blanc pour mieux renaître en vers de terre.
Entre cérémonie célébrant le cycle de la vie et étrange rituel autour de la transformation de la matière, Underfoot conjugue magie, acrobatie et facétie dans un objet hybride singulier et déroutant. Performeurs de grande qualité, c’est indéniable, les deux artistes se perdent un peu dans les méandres de leur pensée. Si l’ensemble très ludique plait aux enfants, ils laissent aux adultes, un goût d’inachevé.
Le sport, c’est la folie
Un peu plus loin, un peu plus tard, la compagnie 15Feet6 sort les grands moyens. Acrobates de génie, maîtres du mât chinois et de la barre russe, Mateo Girón, Niko Mietinen et Richard Fox en mettent plein la vue dans ce spectacle gratuit. S’inspirant des sports, ils donnent à leur manière drôle et décalée un avant-goût des JO. Se tendant la perche ou laissant l’autre choir, virevoltant dans les airs ou rampant au sol, ils habitent la scène de leur présence solaire et emportent le public dans leur délire totalement débridé.
Habillés comme des athlètes jouant aux échecs tout en imaginant mille facéties, les trois circassiens tentent de battre leur propre record celui de déclencher des salves de rires, d’amuser la galerie tous muscles dehors. Avec eux tout est possible, même d’oublier la chaleur et les petits tracas de la vie. Épatant !
Tous pour un, un pour tous
Au théâtre antique, en début de soirée, on retrouve la troupe du Franco-colombien Edward Aleman, El Nucleo, dont on avait découvert Marelle, en 2022, ici même. Plus survitaminés que jamais, les onze artistes, aux parcours atypiques, se racontent et se confrontent dans une œuvre chorale à couper le souffle. À travers leur histoire qu’ils font résonner avec l’actualité brûlante, ils dévoilent des identités multiples et des prises de paroles percutantes. Comme traversés par les pulsations des musiques électro, ils jumpent, s’auto-encouragent avec une complicité indéniable.
Se mettant au défi de rester dans les airs pendant dix minutes, ils imaginent mille et une figures, seul, à deux, à trois ou plus pour faire de la scène un espace de folie pure. Ça saute, ça danse, ça vole. Virtuose et totalement déjantée, Salto est avant tout une aventure de potes. Leur énergie communicative est le ciment du spectacle. N’hésitant pas à prendre des risques – calculés, bien sûr -, ils offrent de grands moments de cirque, où tout le public retient son souffle. C’est tout simplement spectaculaire. Chapeaux les artistes !
Lâcher de Fauves
En deuxième partie de soirée, entre chien et loup, l’heure est à la déambulation et au lâcher des Fauves ! En l’occurrence, les formidables jongleuses et jongleurs de la compagnie Ea Eo. Accueilli par la voix chaude de Solène Garnier, maîtresse de cette incroyable cérémonie, le public est invité dans un premier temps à une déambulation entre différentes installations. Ici, un aquarium dans lequel évolue un jongleur-nageur en costume argenté. Là, une jongleuse-maîtresse du temps qui manipule les bulle de souvenirs avec la plante des pieds. Une autre (émouvante Neta Oren), emprisonnée dans un dancefloor aux parois transparentes donne à entendre via des écouteurs ses pensées mises en mots par un rappeur. La synchronisation avec ses mouvements de jonglage est sidérante d’intensité.
Puis, il est temps de pénétrer sous le chapiteau délesté de sa toile (impensable de fournir 94 m3 d’eau en plein mois de juillet en Sud Ardèche pour un chapiteau bulle). A ciel ouvert, le spectacle n’en est pas moins hypnotisant. Les quatre Fauves sont rejoints dans cette étonnante ménagerie par un dompteur des cerceaux, Sylvain Julien. Virtuosité, humour et poésie se conjuguent alors dans un final éblouissant et festif. Tout est perdu sauf le bonheur. Celui d’être ensemble, la tête dans les étoiles de cette merveilleuse nuit ardéchoise.
Olivier Frégaville-Gratian et Claudine Colozzi – Envoyé spécial à Alba
Festival d’Alba-la-Romaine
du 9 au 14 juillet 2024
