Entrée des artistes était le titre d’un film mythique de Marc Allègret, dans lequel Louis Jouvet incarnait un professeur du Conservatoire, l’actuel CNSAD. Un rôle sur mesure, pour de vrai. Les dialoguistes, Henri Jeanson et André Cayatte, s’inspirant de Jules Renard, lui faisaient dire, en conseil, à ses élèves : « Il faut mettre un peu d’art dans sa vie et un peu de vie dans son art. »
« Le théâtre rend aux hommes la tendresse humaine » — Louis Jouvet
Fidèle à sa manière de travailler, c’est-à-dire d’une parole récoltée, Ahmed Madani a rencontré des anciens étudiants de l’École Supérieur de théâtre des Teintureries de Lausanne, aujourd’hui fermée. Il leur a demandé de réfléchir aux raisons qui les ont poussés à faire du théâtre. Il en résulte un magnifique hommage à l’art dramatique.
Jouvet disait aussi dans le film : « C’est quand le rideau se lève que votre vie commence. » Ce fameux rideau des théâtres à l’italienne n’existe pas dans les salles contemporaines. Alors le lever de rideau se transforme en exercices d’échauffements, corporels et vocaux, réalisés par les jeunes artistes du spectacle. Puis, ils s’installent en rond et entonnent Ederlezi de Goran Bregović, la chanson phare du Temps des Gitans d’Émir Kusturica. Ahmed Madani, en prenant soin d’embrasser chacun et de leur dire bonne chance, traverse le plateau et monte en régie. Le spectacle peut commencer.
« On fait du théâtre parce qu’on a l’impression de n’avoir jamais été soi-même et qu’enfin on va pouvoir l’être » — Louis Jouvet
Comme dans presque tous ces spectacles, comme Incandescence et F(l)amme, ou Nous sommes nous avec les gamins de Cergy-Pontoise, Ahmed Madani alterne ensembles et monologues. Les premiers abordent le métier, l’apprentissage, les rapports avec les professeurs, les metteurs en scène, les castings, les camarades de jeu, MeToo… Les seconds sont de l’ordre de l’intime. Les jeunes comédiennes et comédiens vont, à tour de rôle, quelques fois par deux, raconter ce terreau que forment la famille, l’enfance, l’adolescence… Il y a les cabossés à qui la vie n’a pas fait de cadeau, les révoltés qui ont voulu sortir d’un carcan familial ou identitaire. Tous ont en commun d’avoir été sauvé par l’art, la littérature et bien sûr le théâtre. Posant un regard sur leur présent, ils racontent également leurs rêves et leurs espoirs.
Dans un bel esprit de troupe Dolo Andaloro, Aurélien Batondor, Jeanne Matthey, Rita Moreira, Côme Veber, Igaëlle Venegas et Lisa Wallinger enchaînent les tableaux, montrant l’étendue de leur palette de jeu, qui va de la parole au corps. Ils savent également danser et chanter. Ils sont épatants et l’on s’attache vite à chacun d’eux. Le final est de toute beauté. S’inspirant de Shakespeare, Ahmed Madani offre au spectateur, à qui ce spectacle est dédié, un texte brillant. Il y est question d’illusion. Qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ? Ce qui est certain, c’est que « ces animaux étranges que sont les comédiens » n’auront de cesse de nous surprendre et de nous enchanter.
Marie-Céline Nivière – Envoyée spéciale à Avignon
Entrée des artistes, texte et mise en scène d’Ahmed Madani
Festival OFF Avignon
Théâtre des Halles
Rue du Roi René
84000 Avignon
Du 29 juin au 21 juillet à 11h, relâche mercredi.
Durée 1h20.
Avec Dolo Andaloro, Aurélien Batondor, Jeanne Matthey, Rita Moreira, Côme Veber, Igaëlle Venegas, Lisa Wallinger
Lumières de Damien Klein
Création sonore de Christophe Séchet
Vidéo de Nicolas Clauss, régie générale en cours, coachs vocaux Dominique Magloire et Arnaud Vernet
Assistanat à la mise en scène Coralie Volichar
Texte publié aux éditions Actes Sud
