Entre le festival Off d’Avignon et vous, c’est une longue histoire ?
Christophe Lidon : Elle a commencé au siècle dernier ! Mais il y a eu de nombreuses interruptions, parce que les rentrées de septembre m’ont empêché d’être libre en juillet — de belles rentrées comme Le Diable rouge, La Colère du Tigre, Oscar et la dame rose, La Serva amorosa, ou encore La Visite de la vieille dame. Ces années-là, je n’ai pas pu faire le Festival, que j’ai toujours considéré, pour ma part, comme l’occasion de rencontres magiques. Une fois, c’était Jean-Pierre Miquel qui m’a demandé de venir faire la mise en scène au Français d’une pièce de Xavier Durringer. Une autre fois, c’était la rencontre de l’organisateur de toutes les tournées dans l’Océan Indien et en Afrique. S’intéressant à notre travail, il nous a emmenés faire du théâtre dans les endroits les plus incroyables ! Le Festival d’Avignon est un point d’orgue de la saison. Je l’ai vu avancer et évoluer.
Vos premiers festivals ont permis à votre compagnie de se faire connaître…
Christophe Lidon : La compagnie s’est structurée en créant un réseau d’artistes, un réseau de vente… Ce rendez-vous annuel permettait de développer des pistes de production et de création différentes et de tisser des liens avec les scènes permanentes d’Avignon comme le Théâtre des Halles, le Chien qui fume, le Chêne noir ou le Balcon. Je me dis, qu’aujourd’hui, un metteur en scène de moins de trente ans qui débute n’a plus les mêmes opportunités, car le festival a quand même bien changé.
C’est donc devenu plus compliqué pour une jeune compagnie ?
Christophe Lidon : Aujourd’hui, oui. On se rend compte, par exemple, que le commerce des spectacles sur le Festival d’Avignon est devenu plus délicat. Aujourd’hui, il est devenu très rare de repartir d’Avignon avec une tournée d’une cinquantaine de dates ! Les programmateurs arrivent avec une programmation déjà complète. Ils ont pratiquement finalisé leurs achats et vont utiliser le budget qui leur reste pour deux, trois spectacles « coup de cœur ». Il n’y a plus du tout la même économie autour du festival d’Avignon que celle que j’ai connue.
Vous revenez cette année avec la reprise du spectacle Agathe Royale…
L’année dernière, le spectacle a malheureusement été interrompu au bout de sept représentations. Il y avait une véritable frustration. Avec Catherine Jacob, nous sommes très heureux de revenir au Théâtre des Gémeaux. C’était important…
Comment s’est faite la rencontre avec ce texte qui est un hommage au théâtre et à ces grandes comédiennes qui n’existent plus…
Christophe Lidon : Oui, aux divas de théâtre qui nous ont fait rêver ! Jean-Benoît Patricot a donné son texte à Catherine, qui m’a proposé d’en faire la mise en scène. On avait eu déjà des partenariats — L’imprésario de Smyrne de Goldoni, Un Fil à la patte de Feydeau — qui ont eu beaucoup de succès. Quand Catherine m’a proposé le texte, j’ai vite adhéré parce que j’aime ce qu’il raconte. J’aime qu’il parle du caractère sacré du théâtre. Lorsque l’on emploie le mot diva, on a l’impression de ne parler que de caprices. Alors que ce mot diva vient directement de divinité. Les divas du théâtre sont des comédiennes qui ont placé le théâtre à un autre niveau : au niveau d’une religion profane, comme pouvaient le faire Maria Casarès, Jacqueline Maillan, Edwige Feuillère ou Delphine Seyrig…
Ce texte m’a fait rêver parce qu’il redonne l’ADN d’un certain théâtre. Il est important de défendre et de restituer ce théâtre où la personnalité des interprètes était si puissante, si poétique. Elles hissaient les textes vers les sommets. On a tous le souvenir de ces grandes divas de théâtre. Catherine est la personne idéale pour incarner cette Agathe. Elle est formidable dans le rôle. Brice Hillairet l’accompagne en interprétant ce Quentin débutant — quel contraste, lui qui vient de rencontrer un vif succès avec Hedwig ! Ce témoignage de transmission est très intéressant.
Vous arrivez aussi avec une création, L’Ami du président. Comment avez-vous déniché cette pièce inédite de Félicien Marceau ?
Christophe Lidon : Lorsque j’ai mis en scène La Trilogie de la villégiature de Goldoni, j’avais gardé l’adaptation de Félicien Marceau qu’avait utilisé Giorgio Strehler. Ce qui m’a donné l’occasion de rencontrer cet auteur. J’ai ensuite monté une de ses pièces, L’Œuf, qui a beaucoup tourné. Félicien m’a alors confié L’Ami du Président. Ce qui est drôle, c’est que cela se passait il y a vingt ans. Preuve que, quelques fois, les projets au théâtre mettent très longtemps à se concrétiser…
J’ai trouvé que l’actualité de cette histoire était brûlante ! D’abord parce que le théâtre est là de temps en temps pour mettre une compresse sur la vie mais aussi pour nous accompagner dans nos réflexions. En ce moment, la politique agace tout le monde. C’est bien que le théâtre s’en empare avec une comédie, pour nous en montrer les travers, les chausse-trappes. Félicien Marceau parle de tout ce qui fait « théâtre » dans la politique, ces espèces de choses étranges qui sont les manipulations, les fake news, les faux-semblants, les rumeurs…
Et les faux amis ! Qui est cet ami du président ?
Christophe Lidon : L’est-il réellement ? D’où tient-il son pouvoir ? Quelles vont être ses influences ? En ce moment, tout cela résonne dans nos têtes. Au théâtre, cela résonne encore plus, parce que c’est très drôle et très féroce. Cela parle finalement, une fois de plus, de ce qui nous dérange. Et ça fait du bien d’en rire.
Votre travail possède, entre autres, une particularité, celle de savoir choisir vos troupes, et ici, on a envie de dire : mais quel casting !
Christophe Lidon : Il y a une belle troupe parce qu’elle est composée d’acteurs de cœur, d’acteurs de reconnaissance et d’acteurs d’enthousiasme. Les « cœurs », ce sont des fidèles comme Benjamin Boyer, Stéphane Cottin, Jean-Pierre Michaël. La « reconnaissance », c’est retrouver Davy Sardou au moment où son jeu peut exactement apporter ce que l’on attend d’un anti-héros, et ce n’est pas si simple d’interpréter Léon Daim ! Et puis il y a les « nouveaux enthousiasmes », comme Muriel Combeau, Stéphanie Hédin et Marine Montaut. Ce sont des comédiennes dont j’ai suivi le parcours et avec lesquelles j’avais envie de collaborer. Je suis très heureux de les associer à ce projet.
Cela fait dix ans que vous êtes à la direction du Centre National de Création Orléans-Loiret. Êtes-vous un homme heureux ?
Christophe Lidon : Comment ne pas l’être avec un pareil outil, implanté sur un territoire et avec un si grand impact ? Il est devenu important dans mon parcours d’homme de théâtre. Comme il y a des guides de montagne, je me vois un peu comme un « guide de théâtre ». Car mon travail est d’amener des spectateurs dans des recoins, des promenades ou des découvertes, comme peuvent le faire les guides de montagne qui accompagnent et qui soutiennent.
Ce Centre National de Création a une place particulière, comment travaillez-vous ?
Christophe Lidon : Mon travail à Orléans, il est fait pour les 10 000 abonnés mais aussi pour ces gens qui ne vont pas au théâtre, qui n’iraient pas au théâtre si ce n’était pas le CADO. Ils me font confiance. Je ne dirais pas une confiance aveugle, parce qu’au contraire, cette confiance est très consciente. Aujourd’hui, si l’on veut que le théâtre continue à avoir ses lettres de noblesse, il ne faut pas oublier des gens sur le côté, comme le disait Ariane Mnouchkine. Il faut travailler pour tout le monde, pour tous les publics et, ce qui est évidemment la démarche la plus importante, ceux qui ne vont pas au théâtre.
J’ai choisi d’être un « guide », parce que j’ai envie d’accompagner les gens pendant toute la saison théâtrale : On ne leur dit pas juste « Venez, ce sera bien », mais « Venez, voilà pourquoi ». C’est aussi pour ça que j’ai créé un cercle des spectateurs. Le principe des abonnements permet de fidéliser des spectateurs. Cet ami de théâtre que je propose d’être, il est ouvert à toutes les découvertes, toutes les rencontres, tous les enthousiasmes, quelles que soient les propositions. Il est aussi curieux d’un théâtre public que d’un théâtre privé ! Ce qui a toujours été mon choix dans mon propre parcours.
Il y a aussi une particularité, très écologique, au CADO, c’est que vous allez vraiment chercher le public avec des navettes…
Christophe Lidon : C’est le transport d’un public Loirétain ! Le Loiret est un département très étendu. Mais il ne s’agit pas uniquement de les transporter physiquement, il faut aussi les transporter artistiquement. On organise des présentations de saison, des médiations, des expositions, des rencontres, et bien sûr des représentations. On a même proposé aux Loirétains de nous recevoir chez eux avec un spectacle adapté. Dernièrement avec L’Île des esclaves, nous avons traversé les campagnes…
Si on ne rend pas les gens curieux, si on ne leur donne pas envie, on risque de les perdre. Et pour cela, il faut les attirer pour de bonnes raisons. D’où l’importance de choisir soigneusement, tous les ans, les thèmes de ces créations. Comme L’Ami du Président, qui nous relie à l’actualité. Le Centre national de création Orléans-Loiret est un espace de création que je partage avec tous les créateurs qui participent au spectacle, costumes, lumières, sons, scénographies (en ce moment, une exposition de costumes de théâtre se promène dans le département). Parce que plus on va montrer les coulisses de la création, plus les spectateurs vont s’y promener avec plaisir et gourmandise, et donc s’y attacher, et revenir au CADO !
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
Agathe Royale de Jean-Benoît Patricot (éditions Les Cygnes).
Festival OFF Avignon
Théâtre des Gémeaux
10 rue du Vieux Sextier
84000 Avignon
Du 1er au 21 juillet 2024 à 15h05, relâche les mardis.
Durée 1h20
Mise en scène et scénographie de Christophe Lidon
Avec Catherine Jacob et Brice Hillairet
Costumes de Chouchane Abello-Tcherpachian
Musiques de Cyril Giroux
Lumières de Cyril Manetta
Images de Léonard
Assistante mise en scène Valentine Galey
L’Ami du Président de Félicien Marceau
Festival OFF Avignon
Théâtre des Gémeaux
10 rue du Vieux Sextier
84000 Avignon
Du 1er au 21 juillet 2024 à 17h15, relâche les mardis
Durée 1h25
Mise en scène et scénographie de Christophe Lidon
Avec Davy Sardou, Jean-Pierre Michaël, Stéphane Cottin, Muriel Combeau, Benjamin Boyer, Marine Montaut, Stéphanie Hédin
Costumes de Chouchane Abello-Tcherpachian
Musique de Cyril Giroux
Lumière de Cyril Manetta
Vidéo de Léonard
Assistante mise en scène Mia Koumpan.