Bertrand Sinapi a écrit Après les ruines à partir de témoignages, et c’est une voix enregistrée qui ouvre la pièce. L’extrait, recueilli par Wejdan Nassif pour À Vau l’eau, une pièce de 2020 de la même compagnie, résonne dans les hauts-parleurs, en arabe dans le texte. « Je m’appelle Khadem et j’ai trente ans. Je viens d’Irak. » Khadem raconte la mort frôlée dans les eaux grecques et la peur de perdre son fils de deux ans. Le texte « est-il si violent qu’après lui, plus rien ne peut être dit ? », demande la comédienne (également dramaturge) Amandine Truffy.
Dans la froideur kafkaïenne d’une administration, un migrant se voit interrogé dans une langue allemande qu’il ne comprend pas. Dans ces échanges qui jalonnent le spectacle, l’exilé tente de raconter son histoire et se heurte à la difficulté de se faire comprendre. Plus tard, l’employée qui lui fait face chantera un passage de Der Erlkönig (Le Roi des Aulnes), poème de Goethe qui fut mis en musique en 1815 par Schubert. Un enfant y alerte son père du danger qui le poursuit, son père ne l’entend pas, l’enfant meurt.
« Ce qui va être jugé, c’est la crédibilité de votre récit », explique la fonctionnaire. Parole contre pouvoir : voilà la lutte que montre, admirablement, Après les ruines. Sur un mode double, entre la fiction (documentée) et sa mise en abîme, les comédiens Amandine Truffy, Katharina Bihler et Bryan Polach donnent du corps, justement et sans clichés, à des personnages-symboles. La musique d’André Mergenthaler, jouée en live par Stefan Scheib, vibre avec l’ensemble, pas à côté.
Le texte est moins opérant lorsqu’il ne tient qu’à un mode interrogatif, comme dans cette fin qui diffuse des voix anonymes lançant des « Qu’est-ce qu’on peut faire ? » un peu simples. Il est autrement plus engageant dans ce qu’il arrive à faire de proprement théâtral à partir des situations politiques et légales que génèrent les parcours migratoires. Délivrant au passage, sans didactisme, des clés de réflexion concrète sur les défauts de l’accueil réservé aux migrants dans nos démocraties. Le public les reçoit, et applaudit à tout rompre.
Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Avignon
Après les ruines de Bertrand Sinapi
Festival Off Avignon
11·Avignon
Du 2 au 21 juillet 2024
Durée 1h15
Écriture et mise en scène Bertrand Sinapi
Dramaturgie Amandine Truffy et Emmanuel Breton
Violoncelle et Loopstation live André Mergenthaler
Captation et dispositif sonore Lionel Marchetti
Traitement électroacoustique et contrebasse Stefan Scheib
Création lumières Clément Bonnin
Dispositif scénique et régie Matthieu Pellerin
Production, Administration Inès Kaffel et Alexandre Vitale
Avec Amandine Truffy, Katharina Bihler et Bryan Polach